Du silence en pédagogie

Ce texte est paru dans la revue Dialogue du GFEN en 2022.

Du silence en pédagogie…

Michel NEUMAYER, gfenprovence.fr et approches.fr

Le couple « question-réponse » en pédagogie

Au­ delà de la pensée des poètes, je voudrais re­ venir dans ce troisième numéro des « 100 ans d’Éducation Nouvelle » sur la notion de « question » en pédagogie et interroger sa place en Éducation Nouvelle, face aux défis d’un futur incertain.

Je veux briser le carcan du « questionner­ et­ donc répondre », ce binôme insécable auquel l’enfant et l’adulte, ces deux acteurs de la relation pédago­gique si souvent répondent, peut ­être trop sou­ vent sans les réinterroger. Les pédagogies dominantes sont encore souvent celles qui cherchent à colmater le vide relationnel, le suspens dans le langage que l’irruption d’une « question » peut susciter. Pourquoi ?

Quelle place laisser au doute chez l’apprenant ? Comment en tant que formateur suspendre en nous le désir de parole ? Comment entendre la puissance poétique des paradoxes ? Comment s’abstenir de tout ce qui fige la pensée ?

Si un paradoxe est cette « affirmation surprenante en son fond et/ou en sa forme, qui contredit les idées reçues, l’opinion courante, les préjugés » (CNRTL1), que faire quand bouche bée, qu’ils soient élèves ou adultes, les sujets investissent des propositions qui leur sont faites tantôt par le silence, tantôt par la dénégation, embarqués qu’ils sont dans la découverte d’une question d’histoire, d’un énoncé de mathématique, des ellipses dans la construction du roman, d’une photo qu’ils observent ?

Je réfléchis au temps laissé en pédagogie à l’en­ quête et à son murissement. Les textes de Dia­ logue en parlent. Je réfléchis aux espaces laissés au souffle en pédagogie, à la puissance des étonnements et à la sérendipité (« le don de faire, par hasard et sagacité, une découverte inattendue et fructueuse » – Wikipédia). Je veux attirer l’attention sur la place du corps dans le jeu pédagogique ordinaire, qui lui­ même parfois peut nous submerger.

L’Éducation nouvelle, chaque fois qu’elle s’empare de telles réflexions me semble constituer un aiguillon qui nous détourne des routines. Cela passe par sa capacité à les questionner, en faire des objets de recherche, nourrir des échanges et publi­cations.

Je me propose d’évoquer pour commencer deux récits de pratiques qui me permettront de croiser plusieurs questionnements : l’un psychanalytique autour de la « pulsion épistémologique », une notion issue des psychanalyses kleiniennes (Melanie Klein, W.Bion); l’autre liée à la sociologie et aux sciences de l’éducation autour de « ce que parler veut dire ». J’imagine des temps, des apprentis­ sages où nous résisterions aux impositions (pro­ grammes, instructions, normes) qui nous condamnent à la fuite en avant où le savoir ne se­ rait plus qu’une marchandise accumulée par cer­tains quand d’autres restent au bord du chemin. Volontairement disparates, ces exemples sont pour le premier une formation de bénévoles d’une « entraide scolaire » municipale, pour l’autre une in­ tervention en Lycée Professionnel autour des liens entre histoire et mémoire.

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« Du silence en pédagogie »

 

Éducation et culture de paix

(Cet article est paru dans la revue Dialogue (GFEN) en 2021.)

Culture de paix, écriture et Éducation nouvelle – « Naître après »

Michel NEUMAYER

J e voudrais ici faire l’éloge d’une pensée péda gogique qui sache ne pas faire fi des complémentarités entre « petite » et « grande » histoire. Je voudrais qu’elle nourrisse une conception de « l’engagement en pédagogie », notion importante dont nous avons tant besoin, que nous pensions aux appre­nant.e.s, aux formatrices et formateurs, aux ensei­gnant.e.s.
Ce texte débute par un bref exergue qui situe l’origine de ma réflexion. Il est suivi de rapides fragments bio­ graphiques. Ma thèse centrale en matière d’écriture et d’émancipation est ensuite explicitée et brièvement étayée par trois exemples d’ateliers d’écriture de « cul­ture de paix ».

L’exergue

Entendons la psychanalyste Anne­Lise Stern dans Le savoir déporté. « Naître, c’est naître après », dit­ elle. Cet « après » n’est pas seulement une affaire de chronologie et d’Histoire mais constitue paradoxa­lement un « jeté devant » tel que le proclament certains épistémologues récents. Ce « naître après » d’Anne ­Lise Stern pose certes la question centrale d’un don et d’une dette et aussi d’un engagement tourné vers l’avenir. Je défends l’idée que toute action pédagogique réincarnée, suppose que des lieux de co­élaboration soient mis en place dans le but de partager ce que produit ce gouffre qui, trop souvent dans l’Histoire, met en tension et confronte « l’avant et l’après ». Je me souviens d’Édouard Glissant : «Qu’est­ ce donc que le langage ? Ce cri que j’ai élu ? Non ! Pas seu­lement le cri, mais l’absence, qui au cri palpite ».

Que faisons ­nous en écriture comme dans la vie de ce défi que sont les récits de savoir dont nous héri­tons ? Quelles leçons tirons­ nous en pédagogie notamment des expériences singulières narrées dans nos familles, parmi nos proches, dans nos pays et auxquelles ils ont été exposés ? En quoi, en écrivant et en faisant écrire, confortons­ nous cette « résistance culturelle » qu’est la proclamation du droit au récit par tous et pour tous ?

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« Naître après… »

Réver, agir ensemble,

Cet article est paru dans la revue suisse L’ÉDUCATEUR

Pratiques culturelles et Éducation Nouvelle

Rêver, agir, analyser

Une pédagogie d’Éducation Nouvelle est toujours, à sa manière, un patchwork.

Animé du désir d’évoquer ici une pratique culturelle liée à l’Éducation Nouvelle – l’invention et la pratique d’un atelier de création –, c’est un écheveau qu’il me faut déplier. C’est par entrées diverses et brefs fragments que j’aborderai le sujet, naviguant de l’intuition et du rêve vers le faire pour de bon et l’analyse réflexive sur cette pratique. Chaque aspect questionne les autres. En effet, mon sentiment est qu’une pédagogie d’Éducation Nouvelle est toujours à sa manière un patchwork, le travail d’un bricoleur dans l’esprit de Lévi-Strauss(1). Par sa complexité même, il donne un sens puissant au travail d’enseignement et de formation.

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Réver agir ensemble en éducation nouvelle

 

Du mythe de Sosie aux origines de la démarche « Sosie »

(Cet article est paru dans la revue Dialogue du GFEN)
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Du mythe de Sosie
aux origines de la démarche « Sosie »

Sylvie Chevillard,
Odette et Michel Neumayer

 

On connaît les amours insatiables de Jupiter, les mille et une péripéties qui ont inspiré la verve de Plaute et celle de Molière ! Bien qu’on le cite souvent, on connaît moins les détails de l’histoire de Sosie, un être au destin curieux que Jupiter instrumentalisa pour arriver à ses fins !

L’histoire de ce personnage nous replonge dans un fameux quiproquo conjugal dans lequel plusieurs personnages se substituent les uns aux autres : Jupiter, roi des Dieux se substitue au roi Amphitryon ; Mercure, messager de Jupiter à Sosie, valet d’Amphitryon ! La présence en un même lieu de personnages identiques entraîne une série de confusions et fait rire. Bien sûr, la possibilité de prendre l’apparence d’un autre est un ressort comique qui, depuis le récit mythologique jusqu’au cinéma burlesque, amuse petits et grands !  En revanche, elle pose question dès que l’on retourne chez les mortels !

Le même et l’autre, le double, le dédoublement, le trompe-l’oeil sont des figures importantes de notre imaginaire occidental. Nous traitons par ce biais des questions qui renvoient à notre identité et notre singularité : peut-on reproduire un être humain ? Pourrait-on en « cloner » la complexité au point de tromper tout le monde ? L’apparence suffit-elle à faire l’homme et l’habit, le moine ? Quelle est alors sa « vérité »  ?

En formation aussi cette question se pose. De Frankenstein[1] à Gepetto et à Sosie, ce passage par le mythe ou la parabole, permet d’aborder la relation du maître à l’élève, de traiter de questions telles que la reproduction ou la reproductibilité des êtres humains par l’éducation, l’identité et la singularité, le rapport au modèle.

Dans les 30 dernières années, le personnage de Sosie a inspiré différentes démarches ou ateliers de formation au GFEN et ailleurs. Faire retour sur un dispositif de formation qui connut son heure de gloire, évoquer cette démarche d’un point de vue historique et technique, en donner quelques amonts, en décrire les variantes, tout cela devrait nous permettre de mettre en évidence les dimensions philosophique, épistémologique, politique qui sont au cœur du concept de travail. Ainsi, dans ce numéro de Dialogue,  serait à nouveau posée la question de « l’homme producteur[2]« , interpellant les déclarations politiciennes actuelles du « travailler plus, pour gagner plus », mais pour gagner quoi ?

 

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[1] Philippe Meirieu : Frankenstein pédagogue, ESF, Collection Pratiques et enjeux pédagogiques. Paris, 1996.

[2] L’homme producteur, Autour des mutations du travail et des savoirs, ouvrage collectif sous la responsabilité d’Yves Schwartz et Daniel Faïta, Messidor, Editions sociales, Paris 1985.

Écriture et mise en patrimoine

Prendre la main sur l’évaluation »

(Cet article est paru dans la revue Dialogue N°176 – Mars 2020)

Mon intention dans cet article n’est pas d’entrer dans le détail des ateliers d’évaluation que j’ai menés. Ils sont évoqués au fur et à mesure. Mon souhait est, en matière d’évaluation, de développer un argumentaire plus anthropologique. J’entends par là que je me situe au carrefour de questions liées au regard, à l’écriture, la notion de trace, à la santé au travail, aux notions d’intelligence collective, de collectifs de travail et d’action militante. Je veux relier la question de l’évaluation à un ensemble de savoirs, de pratiques, de valeurs que l’Éducation nouvelle porte plus que jamais aujourd’hui et qu’elle a élaboré au fil de son histoire, notamment à partir des années 1980.

Si les pratiques d’évaluation scolaires de leur côté, dans leur version moderne et omniprésente du pilotage par les résultats, par les tests, les grilles, les comparaisons entre les écoles, les collèges des quartiers, les organismes de formation publics et privés, les villes, les pays sont un aspect central d’une mondialisation capitaliste qui réifie les humains, les outils pour la combattre existent ! Depuis bien plus longtemps, je crois. Certes, ils sont récusés au nom d’une supposée efficacité calculatrice. Ils sont travestis, niés, marginalisés au choix. Ils sont bien peu transmis dans les lieux de formation des nouveaux professionnels. Pourtant, ils existent !

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(Lien vers le site du GFEN et de la revue Dialogue-