Intervention de Danièle Linhart sur les questions d’organisation du travail
Université d’été du GFEN, Béziers 10-13juillet 2023
Fragment
Je ne suis pas spécialiste des questions d’enseignement, mais spécialiste des questions du travail. Je vais essayer, avant d’arriver à la question de la subordination au travail, de définir le nouveau modèle dans lequel nous baignons. Je parle du nouveau modèle managérial qui s’est d’abord introduit dans le secteur privé pour ensuite se déverser dans le secteur public à partir des années 90 et plus fortement vers 2000.
Ce modèle, je vais essayer d’en présenter les caractéristiques.
Tout d’abord je commencerai par vous dire que ce modèle a commencé à se mettre en place à partir des évènements de mai 68, comme quoi on peut poser de bonnes questions en mai 68 et trouver des réponses totalement délétères du côté de ceux qui, dans le rapport de force, ont la position dominante et qui détiennent le pouvoir.
Que s’est-il passé en mai 68 ? Peut-être n’en n’avez-vous pas gardé la mémoire, mais ce furent trois semaines de grève générale avec occupation d’usines. La plus longue grève du XXe siècle, plus longue que pendant le Front populaire. Cela a correspondu à une explosion autour de la remise en cause des règles du jeu de l’époque. Des situations de travail qui allaient en se dégradant, l’introduction du travail à la chaîne, le travail de nuit, l’augmentation des cadences, la déqualification, etc. Mais ceci était compensé par une augmentation systématique des salaires et des primes. Avec des organisations syndicales extrêmement combattives, mais qui cependant ne se battaient pas sur le plan de l’organisation du travail qui se détériorait mais combattaient uniquement ce qu’ils appelaient à l’époque « la rétrocession des profits des actionnaires vers les salaires ».
C’est ce que certains économistes de la rénovation ont appelé : le « cercle vertueux ». Les organisations syndicales, laissant l’organisation du travail aux patrons, les laissaient dégager des gains de productivité absolument faramineux ! Mais comme les organisations syndicales revendiquaient beaucoup (la classe ouvrière était dominante à l’époque), les salariés avaient plus d’argent pour consommer des biens qui étaient plus nombreux grâce à l’augmentation de la productivité du travail. Un « cercle vertueux » qui se caractérisait par la détérioration des situations de travail, l’augmentation fantastique de la productivité, l’augmentation des salaires, ce que les syndicats ne mettaient pas en cause et le sentiment d’un « deal ». Les ouvriers compensaient la dégradation de la vie au travail par la possibilité de bénéficier de la société de consommation qui se mettait en place.
Les organisations syndicales entraient à leur corps défendant dans ce système.