ÉCRIRE EN ATELIERS

Éducation nouvelle et pratiques de création : "Faire de l'écriture un bien partagé" (Archives Neumayer / GFEN Provence)

ÉCRIRE EN ATELIERS

« Vers le grand large » – Questions de classes N°20

« Et comme disait Benjamin, il faut arracher la tradition au conformisme qui est tout le temps en train d’essayer d’investir la tradition » (Georges Didi-Huberman, AOC Media, 19/11/22)

Quand notre amie Melanie du Groupe luxembourgeois d’Éducation Nouvelle nous a écrit que, venue à la 3eme Biennale d’Éducation Nouvelle de Bruxelles de 2022, elle avait l’impression que c’était une fois encore la vieille gauche européenne qui s’exprimait, l’interpellation a pour moi été salutaire. J’ai pensé à ce qui traverse aujourd’hui aussi bien le GFEN que le LIEN (réseau international d’Éducation Nouvelle dont le GFEN fait partie). J’ai pensé aux autres mouvements de Convergences, dont je salue l’énorme travail de mis en œuvre de la Biennale. Une belle réussite, je crois.

Mon propos ici, en réaction au constat de notre amie luxembourgeoise est imprégné de lectures en cours. Elles questionnent nos manières de penser et de faire, sans que nous ayons toujours des alternatives prêtes à l’emploi. Je parle d’Éducation Nouvelle en général :  comment des lectures peuvent-elles nous aider à aller vers une éducation qui promeuve l’humain en temps de guerres sans cesse recommencées ?  À quoi bon lire les poètes « en des temps si rudes » demandait Hölderlin. Au contact de quelles pensées réinterroger les pédagogies progressistes, c’est ma question.

 

Lire la suite du texte en en pdf
Neumayer pour QdC v2 – Le grand large revue MN
Questions de classes sommaire-N°20

Écriture et formation / Écrire en formation

Écriture et formation / Écrire en formation

Michel NEUMAYER Gfen Provence

C’est à force d’inventer puis animer de nombreux ateliers de formation en mi­ lieu professionnel comme sur le terrain des ate­liers d’écriture que je me suis interrogé sur ce champ de la formation des adultes largement tra­versé d’écritures­ lectures. Des annonces de stages aux formulaires d’inscriptions, de la formulation des attentes sollicitées ici et là par les formateurs aux évaluations mises en place, le rapport à l’écrit, le lire et écrire en formation semblent aller de soi. Je souhaite ici l’interroger.

De quelles lectures parle­-t­-on ? De quelles écritures s’agit­-il à tel ou tel ou tel moment du processus de formation ? Comment se déclinent-­elles ? Que pro­duisent elles dans l’esprit des « se formants » : soumission aux routines, conscientisations di­verses, nouvelles formes d’estime de soi ? À qui s’adressent­ elles : aux pairs ?

Si toute formation vise une transformation – pour aller vite « celle d’actes et des pensées » – en quoi le lire­écrire en formation y contribue-t­- il ? Comment y gagne­-t­-on en liberté et développe-­t­-on de la coopération ?

Lire le texte en pdf
@Écriture et formation

Un atelier « colloque » : que s’est il passé le 6 février 34 – Reprise d’un travail de Michel Huber (GFEN)

Voici la démarche de Michel Huber (GFEN)

Que s’est-il passé le 6 février 34 à Paris ?(Michel Huber-original)

Voici notre adaptation quelques années plus tard
(Odette et Michel Neumayer)

Ayant vécu plusieurs fois cette démarche, nous avons choisi de la faire évoluer en mettant l’accent sur l’écriture dans les démarches de construction de savoir(s) : non plus l’écriture des autres (le document historique, objet d’études), mais la notre ,c’est à- dire celle de sujets apprenants, engagés dans le collectif de la démarche, qui écrit et ré-écrit son histoire, travers l’histoire de sa famille en particulier, et se donne ainsi les moyens d’entrer dans l’Histoire.

 

Les différents types d’écriture:

– les dépositions devant la commission d’enquête ; les greffes;
– les articles de journaux du lendemain;
– les listes de questions;
– le texte personnel final.

Autant d’écritures, autant de lectures, autant de chemins ouverts sur d’autres lectures encore.

Nos pistes d’exploitation de la démarche :

  • Les ré-actualisations de savoirs anciens et la construction/re-construction de savoirs nouveaux
  • La démarche : gestion des groupes pour une mise en scène de la parole, dans la perspective de l’analyse des discours.
  • L’exploration d’une problématique conceptuelle : celle de l’objectivité.
  • Démarrer des projets pour d’autres constructions de savoirs : comment ?
  • La place de l’écriture, et ses différentes formes, dans une démarche de construction de savoirs : savoirs sur l’histoire / savoirs sur l’écriture? Quel statut du document historique ?

Voici le dispositif que nous avons arrêté :

  1. On se constitue en quatre groupes. Chaque groupe reçoit un document (voir plus haut) et prépare par écrit le texte de la déposition que le représentant du groupe fera devant la « commission d’enquête parlementaire » (40 minutes).
  2. Avant de passer à la phase 2, chaque groupe désigne en son sein:
    – 1 témoin de l’événement qui présente la déposition
    – un député, membre de la commission d’enquête;
    – un ou deux journalistes, chargés de « couvrir » la première séance de la commission d’enquête;
    – la foule, qui sera admise dans la salle d’audience (en fait tous les autres membres du groupe).
  3. Réunion de la commission d’enquête.
    On demande à un volontaire de jouer le rôle de président, et à un autre celui de greffier du Parlement. La réunion dure 30 minutes.
  4. A la sortie, on se divise en trois groupes :
    a) la commission parlementaire, qui met au point son verdict puis dresse la liste (par écrit) des questions qu’elle se pose par rapport à l’événement ;
    b) les journalistes des quatre tendances, qui rédigent leurs articles;
    c) la «foule ,» qui dresse de son côté sa propre liste de questions au sujet de l’événement et du contexte historique. Cette troisième phase dure 20 minutes.
  5. Affichage et lecture des compte rendus des différents journaux rapportant la séquence 2. Puis, lecture des conclusions de la commission d’enquête.
  6. «Que faisait (ou aurait fait) mon père, ma mère, mon grand-père, ma grand-mère, le 6 février 1934? Imaginez ou racontez. » Lecture des textes individuels.
  7. On prend connaissance de documents historiens : des extraits de manuels d’histoire, d’articles de presse, etc.

Quelques textes issus d’une animation

*Qu’aurait fait mon grand-père?
«Militant très catholique des Croix de Feu, iI se serait rendu à l’appel du lieutenant-colonel de la Roque pour protester contre la pourriture du régime et l’infamie de ses parlementaires, et pour faire entendre sa volonté de sauver l’honneur de sa mère patrie. De là à penser, qu’il aurait suivi l’assaut de la Chambre. II n’y a
qu’un pas. Toutefois, je doute qu’il fait fait partie des meneurs de l’extrême-droite et qu’il se soit rendu à la manifestation, armé, dans l’intention bien arrêtée de renverser la République. Père d’une nombreuse famille, sa femme se mourant de tuberculose, je pense qu’il aurait hésité à lancer son sort, et celui de son
pays, dans l’aventure que représentait les mouvements d’extrême-
droite et l’Action Francaise. Peut-être, cependant, était-il tenté par l’exemple apparemment triomphant de l’Allemagne hitlérienne, régime où l’ordre se rétablis-
sait sous la poigne efficace du Führer.

Le 6 février 1934
~Ils étaient jeunes mariés, pour eux la vie était belle, malgré les menaces du fascisme. Mon père aurait critiqué la presse et la T.S.F. avec ses collègues (professeurs à Marseille),ils  auraient beaucoup parlé entre amis, en famille, des idées de justice et de paix et de pour qui li faut voter. Ma mère aurait prié pour qu’il y ait plus d’amour entre les hommes, surtout ceux du gouvernement (une telle responsabilité). Seraient-ils descendus dans la rue? Je ne crois pas, mais je n’en sais rien du tout. Mon père aurait-il pris des pierres pour les lancer contre le service d’ordre? Non, son arme était sa parole, avec les gens qui travaillaient autour de lui. Ma mère serait-elle allée dans la foule? Non : elle avait appris à ne jamais se mêler de « politique »,ne jamais dire sa pensée, à croire qu’au « gouvernement » où il y a de s gens sérieux et instruits, surement honnêtes, et plus compétents qu’elle, et d’ailleurs elle allait bientôt avoir des enfants, alors son devoir était tout tracé, et puis c’est aux hommes d’agir. Les ouvriers, bien sûr, il fallait les aider, empêcher leur misère, aider leurs enfants à s’instruire…, mais tout le monde n’est pas apte à le faire. C’est une vocation!»

* Mon père aurait fait partie de la manifestation communiste, soucieux qu’il était à la fois de mettre en place un gouvernement populaire et inquiet de lamontée dupouvoir fasciste e nAllemagne; il luiétait évident qu’il fallait tout faire pour barrer la route aux
fascistes. « Chez moi, le souvenir du 6 février 1934 se définit de cette façon : * ona barré la route aux fascistes ,» et vient immanquablement le rappel de la manifestation du 9février. I a fait brûler l’éphigie du colonel Rocque. »
«Mon grand-père, depuis sa petite boutique de charron, se serait informé, sansdoute. Maisattention: pas de politique!  » Tout ça, c’est louche, j’ai l’impression que cette bande de fascistes est en train de préparer un sale coup. De toute façon, qu’est-ce qu’on peut faire? » -Laisse tomber  » aurait dit ma grand-mère. »

«Mon père, le 6 février 1934, aurait été ouvrier quidam sur le boulevard Sébastopol et lorsqu’il aurait aperçu le drapeau rouge de al manifestation communiste, li se serait mis à pleurer d’émotion et li aurait suivi cette manifestation, il aurait pris les gens à témoin autour de lui, leur disant : « Hein mais ce sont eux, qui nous défendent, les communistes, aidons-les! » Il aurait dit aussi : «Les Croix de Feu sont avec les patrons. » Dans les campagnes, lorsqu’ils font leurs meetings fascistes avec de la Rocque, les patrons de l’agriculture, ils…

« Le sosie » Ateliers d’analyse du travail

Du mythe de Sosie aux origines de la démarche « Sosie »

Texte 1

Intro – Sylvie Chevillard, Odette et Michel Neumayer

On connaît les amours insatiables de Jupiter, les mille et une péripéties qui ont inspiré la verve de Plaute et celle de Molière ! Bien qu’on le cite souvent, on connaît moins les détails de l’histoire de Sosie, un être au destin curieux que Jupiter instrumentalisa pour arriver à ses fins !

L’histoire de ce personnage nous replonge dans un fameux quiproquo conjugal dans lequel plusieurs personnages se substituent les uns aux autres : Jupiter, roi des Dieux se substitue au roi Amphitryon ; Mercure, messager de Jupiter à Sosie, valet d’Amphitryon ! La présence en un même lieu de personnages identiques entraîne une série de confusions et fait rire. Bien sûr, la possibilité de prendre l’apparence d’un autre est un ressort comique qui, depuis le récit mythologique jusqu’au cinéma burlesque, amuse petits et grands ! En revanche, elle pose question dès que l’on re- tourne chez les mortels !

Le même et l’autre, le double, le dédoublement, le trompe-l’œil sont des figures importantes de notre imaginaire occidental. Nous traitons par ce biais des questions qui renvoient à notre identité et notre singularité : peut-on reproduire un être humain ? Pourrait-on en « cloner » la complexité au point de tromper tout le monde ? L’apparence suffit-elle à faire l’homme et l’habit, le moine ? Quelle est alors sa « vé- rité » ?

En formation aussi cette question se pose. De Frankenstein1 à Gepetto et à Sosie, ce passage par le mythe ou la parabole, permet d’aborder la relation du maître à l’é- lève, de traiter de questions telles que la reproduction ou la reproductibilité des êtres humains par l’éducation, l’identité et la singularité, le rapport au modèle. Dans les 30 dernières années, le personnage de Sosie a inspiré différentes dé- marches ou ateliers de formation au GFEN et ailleurs. Faire retour sur un dispositif de formation qui connut son heure de gloire, évoquer cette démarche d’un point de vue historique et technique, en donner quelques amonts, en décrire les variantes, tout cela devrait nous permettre de mettre en évidence les dimensions philosophique, épistémologique, politique qui sont au cœur du concept de travail. Ainsi, dans ce numéro de Dialogue, serait à nouveau posée la question de « l’homme pro- ducteur2 », interpellant les déclarations politiciennes actuelles du « travailler plus, pour gagner plus », mais pour gagner quoi ?

Lire le texte : SOSIE_chevillard_neumayer


Textes 2

Le sosie : – outil d’analyse et de théorisation des pratiques.

Plusieurs « démarches » SOSIE  et articles coordonnés par Jean-Louis Cordonnier Perpignan (GFEN Perpignan)

Liure les textes : sosie_dialogue 

Livres O+M.Neumayer

 

« 15 ateliers pour une Culture de paix »
Odette et Michel Neumayer, préface Etiennette Vellas.
Chronique sociale, décembre 2010 – 240 p.

« La paix est entre nos mains » ! Pourtant, le monde est violent et inégalitaire. Les guerres sont encore et toujours actuelles. La Culture de paix, concept développé par l’UNESCO, est une réponse à cette négativité contemporaine. Faire naître l’espoir en chacun, enfant, adulte, parent, éducateur, enseignants, citoyen, susciter le désir d’entreprendre pour que vivre ensemble sur une même terre soit possible, tel est l’enjeu des pratiques (ateliers d’écriture, réflexions, ateliers de construction de savoirs) décrites dans cet ouvrage.

Lire la suite…

 

Relever les défis de l’Éducation Nouvelle
45 parcours d’avenir »

Odette et Michel Neumayer, Etiennette Vellas.
Préface de Philippe Méirieu
.
Éditions Chronique Sociale, 272 pages, 16 € 90
Juin 2009
ISBN
978 2 85008 777 6
Les grands apports pédagogiques du 20e siècle sont-ils pertinents face aux défis liés à la nécessaire évolution des systèmes éducatifs et de formation, aux mutations dans le monde du savoir et de la création, aux changements actuels dans la vie sociale et citoyenne ? La réponse donnée dans ce livre est résolument optimiste !

45 témoins démontrent, à travers leurs parcours, qu’une action émancipatrice est possible. Des défis semblent parfois impossibles à relever, pourtant ils le sont. Simplement parce que des hommes et des femmes se réunissent, s’engagent, prennent l’éducation au sérieux, en tous lieux. « Vraiment au sérieux », écrit Philippe Meirieu dans la préface.

Lire la suite…

« Pratiquer le dialogue arts plastiques, écriture
Quinze ateliers pour l’Éducation Nouvelle »
Odette et Michel Neumayer en coopération avec Antoinette Battistelli, Marc Lasserre, Christiane Rambaud. Préface de Joëlle Gonthier
Dans cet ouvrage écriture et arts plastiques se mêlent, s’interpellent, se complètent. Les auteurs y décrivent une quinzaine ateliers de création croisés, insistant non seulement sur le détail des déroulements mais encore sur les partis pris philosophiques et pédagogiques. Ils montrent comment, au carrefour de deux domaines de création trop souvent abordés de manière séparée, des savoirs et des pouvoirs nouveaux se construisent, facteurs d’émancipation.
Éditions Chronique Sociale. Paru en juin 2005.
256 pages. 18 € 70.

Lire la suite…

« Animer un atelier d’écriture – Faire de l’écriture un bien partagé« 
Odette et Michel Neumayer. Préface de Michèle Monte.
Il en va de l’atelier d’écriture comme de toute autre œuvre, qu’elle soit écrite, peinte, composée. On peut l’admirer ou la rejeter, la juger ou la commenter, mais on ne la comprend véritablement qu’à partir des incursions que l’on fait dans ce qui en constitue la partie invisible, à savoir le travail de création, doublé du travail d’invention et animation.
Editions E.S.F., Paris 2003, 220 pages
Actuellement disponible en librairie, 2ème édition.

La présentation de l’ouvrage (cliquez ici…)
Deux recensions
(cliquer ici)

« 20 ans d’ateliers d’écriture », article d’Odette et Michel Neumayer,
paru dans la revue Pratiques, Metz
La bataille du « Tous capables d’écrire! », engagée il y a deux décennies par les militants d’Éducation Nouvelle, est toujours actuelle, même si un certain engouement pour les ateliers d’écriture dans la France d’aujourd’hui pourrait laisser croire que ceux-ci, devenus pratique courante et reconnue, ont cessé d’être un enjeu. Le succès de ce qui s’apparente parfois à des « jeux d’écriture » n’occulte-t-il pas la question des enjeux de l’écriture? La diversité et la diversification des lieux et des techniques d’animation, jointes ici et là à une certaine ignorance de l’histoire des ateliers d’écriture n’entravent-elles pas une approche critique en gommant la complexité des engagements? Bref, la multiplication des ateliers d’écriture ne signe-t-elle pas une certaine crise de l’écriture en atelier?

Lire la suite…

« Comme un autre dans la ville »,  un projet d’écriture collectif
mené à Manosque (04) en 2002 à l’initiative de la BHM (Bibliothèque Hors les Murs).
Le 29 septembre 2002 a été présenté à Manosque le livre « Comme un autre dans la ville », un ouvrage produit de septembre 2001 à juin 2002 à l’initiative de la « Bibliothèque Hors les Murs » Service culturel de la Mairie de Manosque 04100 MANOSQUE (France).
Cet ouvrage est le fruit d’un vaste atelier d’écriture mené dans huit structures différentes (Collège, Centre de Loisirs, Organisme de formation, Lieu d’accueil pour adultes, Structures associatives, Local municipal pour les jeunes, Lycée professionnel, etc.)
Plus d’une centaine de personnes ont participé à ce projet, dont le volet formation a été porté par Odette et Michel Neumayer. « Le livre du livre » présente la démarche de formation et de réflexion
mise en place dans le cadre du groupe de pilotage du projet.

Lire la suite….

 

Aux marches du palais : l’atelier et après, que serait une « publication équitable » ?

Texte paru lors des 20 ans du DU de formation d’animateurs d’ateliers d’écriture d’Aix-Marseille

 Aux marches du palais : l‘atelier et après, que serait une « publication équitable »

 

« La question de la publication en recueils ou en livres de textes issus d’ateliers d’écriture est souvent traitée comme une affaire en marge, » avais-je écrit aux organisateurs du colloque pour les  20 ans du Diplôme Universitaire de formation à l’animation d’ateliers d’écriture. Je précisais que « dans mon intervention, je souhaitais la considérer plutôt aux marches du palais, de l’atelier, dans son prolongement ».

Je voudrais ici témoigner d’une expérience de publication en revue sur support papier de textes d’ateliers. En envisager l’intérêt mais réfléchir surtout à quelles conditions la publication peut aider une écriture naissante à grandir, « être équitable[2] ».

 

Pour un écrivant, la sortie de l’atelier est un risque. Quitter un lieu plutôt protégé pour pénétrer, souvent sur la pointe des pieds, dans ce qui tient du rêve autant que du coup de dé, interroge. L’auteur lui-même certes : quel est son but ? Mais plus encore l’amont et l’aval.

Vers l’amont, cette sortie pousse à questionner l’atelier lui-même dans son fonctionnement, ses principes, ses enjeux. Y écrit-on pour se faire plaisir ? Pour la mémoire ? Pour penser peut-être autrement ? Pour, un jour qui sait, « devenir auteur » ? (Je reprends ici quelques postures fréquentes sans préjuger de tout le reste).

Vers l’aval, elle sonde l’édition, son projet, son économie, ses zones de culture et d’inculture. Qu’est-ce au juste « qu’écrire en atelier »pour un éditeur « normal » ?Un amusement ? L’antichambre de la « vraie » écriture qui serait forcément solitaire ? Une mode universitaire venue des Amériques ? Une manière de traiter la question sociale ?

Pour œuvrer moi-même depuis quelques années à la charnière de ces deux lieux, tour à tour concepteur d’ateliers[3] et éditeur[4], j’aimerais revenir sur l’expérience acquise.

 

Naissance d’une revue : voir et être vu – théorie et pratique –  individuel et collectif – tous capables

Quand, à quatre, nous avons imaginé et créé Filigranes nous partions d’une idée simple : les ateliers doivent se donner à voir. Tant sous forme de productions que de réflexions. De théories que de pratiques. Que c’était là une forme mutante de la littérature contemporaine – la pratique concrète et sa glose – un mixte au cœur de la modernité, nourri de sciences du langage, de philosophie, d’esthétique mais aussi des témoignages de créateurs, poètes, plasticiens, gens de théâtre, artisans de la langue, qu’ils soient contemporains ou non.

Nous ne mesurions pas alors en quoi cette intuition allait métamorphoser notre rapport aux ateliers et aux écrivants ; nos pratiques de lecture et d’écriture ; notre conception de ce qu’est ou peut-être un collectif ; notre engagement dans la création. Nous savions la part qu’y prendraient les partis-pris de l’Éducation nouvelle (le « tous capables », « tous chercheurs ») mais nous étions bien d’accord pour puiser à d’autre sources aussi.

 

Autour de ce qui nous réunit : opacité – le centre et la marge – force et vulnérabilité – r seau

Nous avons très vite traduit en actes notre projet et les marches de l’atelier en ont pris un air de liberté, un parfum de printemps avec la floraison d’amitiés nouvelles, d’aventures et de projets.

Nous étions seuls au début, mais les liens se sont tissés. Entre écrivants de nos ateliers et nous ; entre personnes interviewées dans la rubrique consacrée aux questions de création appelée Cursives et nous ; avec des écrivants d’autres ateliers qui à l’occasion nous soumettaient leurs textes.

Pas n’importe quels liens. Des liens centrés sur le travail des mots, interrogeant la relation entre sujets à travers la langue. De ce point de vue, les apports d’Édouard Glissant revendiquant le « droit à l’opacité » furent salutaires. Qu’imaginer de plus riche au cœur de toute négociation de sens, au centre même de l’acte de lecture et de publication que l’attention au mal-entendu, la remise en question des certitudes (vrai / faux, juste / pas juste), le refus du jugement couperet (bon / pas bon, dans le thème / hors sujet). Des liens appuyés sur l’éthique, le souci[5] de l’autre.

Si tout atelier (qu’il soit d’écriture ou non) se doit d’être « un espace hors menace », comme le dit le pédagogue Philippe Meirieu, il importe qu’au moment de la publication on continue de protéger les textes et leurs auteurs. Mais de quelle nature imaginer cette « protection » afin qu’elle ne soit pas une béquille ? Des liens enracinés dans l’idée que publier est un acte politique et l’exercice d’une liberté. En publiant, on développe l’espace des relations entre les hommes[6], on y affirme des valeurs et on tente de les dimensionner par des actes.

Une revue est un espace tout petit, rien de plus qu’un réseau de personnes parfois même local, mais toujours assez grand pour ouvrir de nouveaux horizons à la pensée humaine qui, elle, est sans bornes.

Une revue est une micro-société et à ce titre une construction de règles, une culture.

 

Pour un lien savant auto-socio – débat – complexité

Il apparut que ces liens étaient producteurs de savoirs nouveaux chaque fois que ce que les textes et les personnes portaient rencontrait notre propre vision de l’écriture et nos projets.

Les liens tissés au sein d’une revue font d’elle un atelier, un laboratoire chaque fois que ce qui est dit, écrit, alimente le débat avec les autres. Chaque fois que l’idée d’un partage critique est acceptée et que le groupe a conscience de participer à une construction savante dans laquelle le singulier alimente le collectif et réciproquement. L’Éducation nouvelle désigne cela du beau terme barbare « d’auto-socio-construction » !

Mais rien ne s’improvise en la matière. Tout cela se travaille.

 

Rendre un texte lisible ? … ou ce qu’une revue peut apporter en la matière lisible / illisible – alternance de statut – transmettre – normes – résistance –

Filigranes fête en 2014 ses trente ans d’existence. Trente ans au service des « hommes et des femmes du commun à l’ouvrage ». Trente ans de partis pris qui se formulent peu à peu et finissent par faire théorie, règles et normes.

Ce furent trente ans d’engagement dans la création au cours desquels nous avons réfléchi aux conditions à réunir pour que les écrits d’ateliers deviennent lisibles au-delà du moment de leur production. De notre point de vue en effet et sauf exception, ils ne le sont pas, sauf à rester dans l’espace de l’atelier !

Trente ans à lutter avec tendresse et affection contre le « moment narcissique » (« Voyez, ceci est mon texte ! ») qui enferme l’écrivant dans une vision solipsiste de l’écriture. Il existe des outils pour en sortir : la réécriture, la relecture intertextuelle, la problématisation, l’alternance des statuts, être tour à tour auteur et coéditeur de textes d’autrui.

Trente ans à nous interroger de manière plus théorique sur l’humain face à son désir, à son besoin de trace. Formaliser l’expérience ne va pas de soi. Cette question est pourtant au cœur de toute écriture qui ne cherche pas à « exprimer » mais à transmettre.

Trente ans à nous méfier de la supposée « qualité » d’un texte. Question vaine, du moins dans les formes où elle est d’ordinaire posée, c’est-à-dire comme « allant de soi » quand il s’agit en réalité d’un débat de normes, d’un possible conflit idéologique, de références culturelles non-partagées, d’habitus. Question en revanche intéressante dès qu’elle renvoie aux choix et projets d’un sujet, à la notion de résistance, au désir de continuité ou au contraire de rupture avec ce qui structure le champ de l’écriture à tel ou tel moment de son histoire.

 

La lecture d’un texte d’atelier, un cas très particulier consigne : travail réel, inventivité, adéquation, contrôle, originalité, écart, prouesse, labeur, visible vs invisible

Au quotidien, chacun lit en fonction de son rapport à l’écriture dans lequel sont cristallisés un héritage, des temps de formation, des valeurs, des habitudes. Ce rapport évolue au cours de la vie. Chaque lecture réellement nouvelle le transforme.

Dans l’atelier d’écriture, au moment même où la lecture a lieu, celle-ci est pilotée en plus par d’autres éléments encore : l’existence d’un dispositif, les consignes, une possible scénographie. Dans ce moment très particulier, tout texte est a priori lisible d’abord comme réponse à ce qui l’a déclenché.

Les uns le liront ou l’entendront avec comme grille son adéquation à la proposition des animateurs/trices, surtout si cette proposition comporte des contraintes formelles. D’autres seront en plus à l’écoute de l’originalité de la mise en œuvre, à l’écart, à l’astuce, au débordement. D’autres encore, surtout si cela est explicitement travaillé dans l’atelier, voudrons imaginer ou reconstituer ce qu’en analyse du travail on appelle « écart entre prescrit et réel », c’est-à-dire les ressorts de l’inventivité[7] !

C’est cette dernière posture, réflexive, complexe – attentive non pas à la tâche mais à l’activité mentale – qui nous intéresse tout particulièrement. En son centre, un point riche mais aveugle, le dialogue invisible entre animateur et écrivants.

Ce qui disparaît lorsque se disperse la communauté des écrivants, c’est la possibilité de croiser nos pensées en regard de la consigne et la manière dont nous avons tenté d’y répondre. C’est de ne plus connaître le bonheur de découvrir la manière dont l’autre a mis en œuvre cette même et unique consigne. C’est la possibilité de s’enrichir de ces différences. C’est le retour parlé sur expérience faite dans un même lieu, avec et contre l’expérience des autres (et non pas avec ou contre les personnes). Bref, c’est la socialisation propre à l’atelier qui est perdue.

Mais quand le travail éditorial est ouvert, « équitable » comme nous disions en introduction, une autre socialisation devient possible en particulier quand les écrivants rejoignent la revue. Cela, parfois, arrive. Ils découvrent alors comment accompagner les autres, leurs pairs, sur le chemin de la reconnaissance du travail d’écriture en cours. Ils prennent conscience de la complexité d’une tâche qui consiste à faire exister, faire grandir l’écriture d’un autre, sans intrusion, sans béquilles.

 

Seul ou pas seul ? Cahier des charges pour un travail éditorial : qualité – fidélité à l’auteur – soutien au travail en cours – subjectivité des choix – séminaires –  intergénérationnel  

Même en groupe, chacun écrit seul. Chacun rencontre à sa manière le symbolique, le code, les normes antécédentes… tout cela enfoui dans la langue. Chacun est déstabilisé par ce qu’il découvre sous sa plume ou son clavier. « J’écris encore pour savoir ce que je pense », dit le poète Aragon, au soir de sa vie.

Un bon atelier est par conséquent celui où tout écrivant se sent accueilli de manière non-jugeante, non intrusive et accompagné pour cette traversée, cette découverte intime.

Un bon travail d’éditeur est celui qui permet que cette traversée se prolonge au-delà du moment privilégié de l’atelier et que chacun prenne conscience que son écriture est vivante car en métamorphose avec et contre les métamorphoses des autres écrivants et ou auteurs.

De ce fait, très vite, notre intuition a été que chaque numéro de la revue porterait en exergue non pas des noms propres mais un intitulé, un titre. Autour de ces titres, fruits au départ d’un bricolage et d’intuitions diverses est peu à peu née une conception du numéro comme d’un tissage : à chaque fois, nous y croiserions du « thématique » et du « réflexif ».

Morceaux de rêves pris dans un coin (1985) – Histoire de papiers (2010) – Les Yeux quand ils s’ouvrent (1989) – Tapis de la mémoire (2010)  – À coller sur le frigo et ailleurs (1999) – Un Jour, un mur (1992) – Du rouge dans le paysage (2004) – Si rien de radical n’advient (2012).

Notre intuition était aussi que notre marque de fabrique serait de donner à lire la trace d’une recherche collective autour d’un objet, autour d’une question posée à l’écriture et à la création. Cela nous préservant de deux écueils majeurs : celui de l’anthologie d’une part, celui de la starisation du « poète » d’autre part.

L’Ombilic du texte (1987) – Mots de passe (1988) – Au pied de la lettre (1995) – Les Ciseaux d’Anastasie » (1996) – Ce sont armes ridicules (2003)

Et aussi que chaque intitulé serait comme une situation-problème : ni florilège, ni tableau d’honneur, mais sorte de dossier poétique, invitation à penser ensemble.

Intime / extime (2007) – Écrire la nuit (1996) – Presque l’infini (1992) – S’entendre avec l’ange (1996) – Et pourtant, elle chante (2002) – Vagants extravagants (2013) – D’une forme, l’autre (2011) – Sciences et fiction (2008)

Enfin, que chaque numéro oblige le lecteur à inventer, dans la foulée, sa propre lecture.

L’écriture du lecteur (1986) –Nouvelles bouteilles à la mer (2012) – Promesses, prémices (2010) – Le Don du texte (2004)

Très concrètement cela signifie que sur notre site nous donnons des « pistes » pour les numéros à venir. Elles sont volontairement ouvertes, énigmatiques de préférence, à « investir de sens » comme le sont les consignes de nos ateliers.

Quand nous recevons des textes de manière anonyme, en paquets, en recueils déjà ficelés nous renvoyons leurs auteurs aux pistes et leur demandons de soumettre un ou deux textes au maximum pour tel ou tel numéro précis.

Les textes sont lus par le collectif de la revue (une quinzaine de personnes) qui les choisit en fonction du thème annoncé avec le souci de varier les genres, les approches, les postures d’écriture et en étant très attentifs à ce qui semble incongru, hors-norme, hors-cadre.

Nous privilégions les « premiers textes » mais avons aussi le souci de suivre nos auteurs et de publier par la suite un deuxième, voire un troisième texte. Il s’agit donc d’abord d’accueillir dans de bonnes conditions puis de veiller à ce que la personne ait envier d’entrer dans le projet de la revue et de corseter son projet personnel de création.

Nous ne pesons pas les textes de l’extérieur au trébuchet de « qualité ». Les notions de qualité, d’intérêt, de sens se construisent en chacun de nous au contact, dans le frottement avec les autres. Un texte est donc retenu à partir du moment où un membre du comité de lecture en défend la possible publication, est prêt à « le porter », dans le débat à son sujet[8] avec les autres.

Dans chaque numéro paraît un édito[9] qui en déplie la problématique et a surtout pour fonction d’illustrer en quoi l’écriture, pour nous, est un travail et non un don ou une divine surprise. Un projet accessible à tous lequel suppose des outils, des rencontres, du temps, un murissement.[10]

Dans ce souci de donner à voir un travail commun intervient la publication d’un entretien dans chaque numéro[11]. En contre-point des textes poétiques, s’y expriment des personnes engagées dans un travail de création autre (musique, arts plastiques, photos, poterie, mais aussi traduction, édition, etc.). On y prend la mesure de questions et préoccupations qui traversent le champ de la création dans son ensemble.

Enfin, nous tenons trois séminaires par an pour écrire, programmer la suite, confronter nos choix, affiner notre engagement en regard du monde.

 

Enjeux : utopie – humanité – trace – rapport à l’œuvre – engagement – inscription dans le temps – rapport au monde  

Cette liste assez longue de routines et de choix, nous l’avons fabriquée petit à petit, en souplesse. Rien de tout cela n’était prémédité.

En manière de conclusion, j’aimerais reprendre l’expression « Faire de l’écriture un bien partagé », sous-titre d’un des livres que nous avons écrits, Odette Neumayer et moi.

Filigranes est plurielle. Elle croise les écritures, les styles, les genres, les âges, les expériences, les langues, une plus ou moins grande proximité avec les Belles Lettres, la culture écrite.

J’y ajoute aujourd’hui que produire une théorie-pratique de l’écriture, le faire dans le partage et l’accueil est aussi un espace à investir. Non pas abstraitement mais en regard toujours de pratiques de création effectives, à faire connaître et reconnaître. Pour pouvoir les partager elles aussi.

Le pédagogue brésilien Paulo Freire, infatigable accompagnateur des « opprimés de la terre », affirmait qu’éduquer est avant tout idéologique. Écrire ensemble est une manière particulièrement riche de nous éduquer, de le faire ensemble… « au contact du monde » ajoutait Paulo Freire.

Tel est l’horizon qui s’ouvre, non en marge mais aux marchesde l’atelier.

 (Octobre 2014)

Naissance d’un numéro[12]

Je suis un petit texte
Tout petit mais je tiens sur mes jambes
Je peux marcher
Je voudrais aller m’accrocher sur une page de Filigranes
Mais mon papa me dit que je ne suis pas prêt
Tous les jours il m’habille
Me déshabille
Me rhabille avec d’autres couleurs
Il me brosse les cheveux
Prêt pas prêt
Enfin ouah ! un beau jour
Il m’envoie
A Filigranes
Je saute dans la boîte aux lettres
J’attends le facteur
Qu’il me prenne et qu’il m’emmène
J’atterris sur une table
On me met dans un dossier bleu
Ouah !
On est vachement nombreux
Dans cette turne
Je me fais des tas de copains
Nous les textes on se comprend à demi-mot

Un jour quelqu’un me prend dans ses mains
Ouah !
Quelqu’un me lit
Je bombe le torse
Je fais le beau
Mon papa serait fier
L’aventure commence on dirait
Un regard me lit
Me pousse sur une table avec mes copains textes
On me prend on me pose
Tous ces yeux sur moi
Jamais
Dans mes rêves les plus fous…
Je n’aurais imaginé ça
On me met un numéro sur le dos
C’est une course de chevaux ?
Je demande aux copains
Non aujourd’hui ils te changent de pile
Il y a ceux qui connaissent ce processus
Parce qu’ils ont déjà été sur la table
Plusieurs fois
Il y en a qui sont en dixième semaine
Ouah ! super !
J’ai été choisi
On me ramène dans la maison des livres
Près de la cheminée
Dans un dossier bleu
Je ne sais pas trop ce qui va advenir de moi
On me déshabille encore
Je vais encore changer d’habit
Le papier recyclé que mon papa avait choisi
Je vais entrer en mémoire
Informatisé, les copains, qui l’eût cru ?
Moi qui ai été écrit avec un crayon de papier
Mon nouveau père s’énervait
Quand ma nouvelle mère lui expliquait
Comment changer mes chaussettes
Je devenais cybernétique les potes
Je suis ressorti tout neuf
Avec des blancs comme de longues inspirations
En haut et en bas
Ensuite j’ai repassé un examen
Mais cette fois-ci au milieu des bouteilles de vin
On m’a marié avec un texte que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam
Mais plutôt sympa
C’est vrai qu’on allait bien ensemble
Après que tous les mariages ont été faits
Et sanctifiés
Les gens autour de la table ont bu un dernier verre
Ca y est, le montage est fait (…)
C’est alors qu’on m’a emmené chez l’imprimeur
On m’a passé dans une nouvelle machine
Un peu comme à l’hôpital
De scanner en radio

 


[1] Plusieurs sites : www.gfenprovence.fr ; www.cultiverlapaix.fr ; www.lamue.org ; filigraneslarevue.fr
[2] J’importe ici, dans le monde de l’édition, un concept inattendu, issu de l’économie, dans lequel les notions de relation juste et sur le long terme, de respect des droits et des personnes, de transparence, de souci de la démocratie, de préservation des savoirs, etc., sont centrales.
[3] O. & M. Neumayer, Animer un atelier d’écriture – Faire de l’écriture un bien partagé, ESF, Paris, 2003.
[4] Filigranes, Revue d’écriture(s). www.ecriture-partagee.com, créée en 1984 par André Bellatorre, André Cas, Odette et Michel Neumayer, est née dans le sillage des ateliers de création du GFEN Provence. Aujoiurd’hui : filigraneslarevue.fr
[5] Je lis aujourd’hui les textes de Sandra Laugier. Dans Tous vulnérables – Le care, les animaux et l’environnement, Payot, Coll. « Petite bibliothèque », Paris, 2012) on lit ceci : « l’éthique du care – apporter une réponse concrète aux besoins des autres – a introduit de nouveaux enjeux dans le politique et la place de la vulnérabilité au cœur de la morale. Elle engage aussi de profondes modifications dans les domaines aujourd’hui cruciaux […] ». Et si tout cela se jouait justement et prioritairement dans la langue  et le rapport à la langue ?
[6] Définition que Hannah Arendt donne du « politique ».
[7] Le travail réel étant tout ce qu’un sujet mobilise en lui, tout ce qu’il est, met en œuvre pour réussir une tâche et qui n’est jamais dit tel quel dans l’organisation prescrite du travail.
[8] Une seule limite : que le texte ne porte pas atteinte aux droits humains. Mais c’est là une autre question, celle des valeurs et du rôle de la création en la matière.
[9] L’ensemble des éditos (1984-2012) est en lecture sur http://www.ecriture-partagee.com/09_archives-en-consultation/archives-accueil.html
[10] Une posture pourtant assumée par bien des animateurs mais qu’aucun recueil de textes d’ateliers n’explicite vraiment, souvent par timidité, parfois par excès de modestie, mais aussi ici et là par ignorance des questions théoriques ou refus de s’engager sur un terrain jugé trop politique.
[11] On les retrouve sur http://www.ecriture-partagee.com/02_Cursives/derniers_cursives.html
[12] Françoise Salamand-Parker, « Naissance d’un numéro », Filigranes, n° 64, Une Date, forcément, avril 2006.

Apprentissage et plaisir- Pas qu’une question de « fun » mais surtout de plaisir au cœur de l’apprendre et du faire apprendre

Autour de quelques paradoxes et de leur possible dépassement

Un texte de Michel Neumayer, paru dans le
Site du Journal de alpha – Bruxelles

Lire l’article en intégral (PDF – 15 pages)
ja219_p026_neumayer

 

—-

Est-il possible en ce printemps 2020 d’écrire sur un sujet tel qu’« apprentissage et plaisir » comme si rien, à l’épreuve de la pandémie qui nous frappe, n’avait bousculé notre rapport aux autres, aux apprentissages, aux projets que nous avons pour nos vies, au plaisir donc, au bonheur peut-être.
Je me cantonnerai à quelques aspects parmi d’autres de cette question du plaisir qui, à mes yeux, est aussi celle de se saisir d’un objet de savoir et de l’emporter dans nos vies. Ce plaisir dans les apprentissages, nous l’avons, un jour ou l’autre, certainement connu nous- mêmes et cela peut même avoir orienté nos choix professionnels actuels. Si donc nous en parlons, c’est j’imagine de l’intérieur, en connaissance de cause.

Sommaire de l’article

  • Des postulats et un peu de théorie
  • Un besoin primordial pour tout apprenant : pouvoir travailler « hors menaces»
  • La question de l’évaluation
  • L’éthique du débat
  • Quelques outils indispensables pour nourrir l’intérêt : coopérer, chercher, surprendre
  • Les ressorts du plaisir
  • Un immense territoire de recherche

 

———-

Extraits

Des postulats et un peu de théorie

Si j’entre dans la question du plaisir d’apprendre par la formulation d’hypothèses et non par une série d’affirmations, c’est qu’en pédagogie, nous avons intérêt à quitter le monde des certitudes. Toute hypothèse se discute. Elle appelle la possibilité d’une recherche, d’expérimentations, de vérifications. Elle fait des professionnels que nous sommes des chercheurs.

Mes postulats :

  • Le plaisir à apprendre ne jaillit pas de lui-même. Il se construit. Il se provoque éventuellement.
  • Apprendre et y trouver du plaisir est complexe et souvent paradoxal : tout apprentissage nouveau peut certes être une joie, mais il va souvent de pair avec des ruptures et de multiples transformations identitaires qui peuvent mettre à mal les sujets.
  • Apprendre et y trouver du plaisir, c’est souvent d’une certaine manière quitter son rang et aller au-devant d’une vie sociale nouvelle qui nous confronte à d’autres milieux. Ces possibles ruptures sont de natures différentes : rupture plus ou moins facile avec des croyances ou des jugements auxquels on tenait et qu’il va falloir réviser ; changement de place face à nos pairs, nos familles, nos groupes d’appartenance.
  •  Au cœur de cette crise, il importe en tant que formateurs de veiller à préserver la dimension du plaisir « malgré tout » et d’accompagner un processus qui n’est en rien linéaire. On passe par des hauts et des bas.

L’un des enjeux de toute éducation, de toute formation est certes d’acquérir des savoirs qui donnent des pouvoirs nouveaux sur soi et sur le monde, mais n’est-il pas tout autant utile de créer les conditions pour que chacun·e y prenne plaisir? Ceci me conduit à trois réflexions théoriques: elles concernent le besoin de sécurité, la question de l’évaluation, la notion de débat. Elles devraient nous aider à construire l’action concrète : penser « développement »plutôt que «contrainte»; «désir» plutôt que «plaisir»; «transformation» plutôt que «formation». C’est là la conséquence d’une révolution mentale qui, en pédagogie, en éducation et en psychologie cognitive, s’est largement répandue au 20e siècle. En un siècle, nous sommes ainsi passés, pour l’enfant comme pour l’adulte, des notions de contrainte et de coercition à celle de développement. Ce développement est une autre façon de penser les sociétés humaines.

Enfin, dans le monde des pédagogies critiques, le plaisir est recherché non comme une fin en soi mais comme le maillon d’une chaine. Cette chaine va de plaisir à énergie psychique et, au bout du compte, à désir et pulsion. Il s’agit de nourrir en chacun la disposition à apprendre (être disposé à/ consentir à) et à la cultiver tout au long de la vie. Certains psychanalystes de l’époque de Freud ont parlé à ce propos de «pulsion épistémophilique»2 chez le tout petit enfant. Dans son désir de savoir se croisent, selon eux, jouissance, sexualité («savoir d’où je viens») et frustration car la question est «sans fond». Ils abordaient ainsi l’aspect pulsionnel qui est au cœur de l’entrée de l’enfant dans le savoir humain.

L’atelier surprise (animation à Marseille)

Il n’y a pas d’apprentissage sans la perspective d’un plaisir ! Pour cela, il faut des outils. En voici un :  plus inattendue est la question de la nécessaire surprise à ménager dans tout apprentissage! « Étonnez-moi, Benoît », c’est plus qu’une chanson! Les pratiques de création ont toute leur place ici.

Prenons l’exemple d’une animation de deux heures que j’ai menée dans un centre social marseillais à l’occasion d’une fête de quartier :

• Le public: 15 mamans non européennes, peu entrainées en matière de lecture-écriture, vivant dans cette banlieue marseillaise et participant une fois par semaine à une « table de conversation ».
• L’intervenant: un-homme-d’âge-mûr-blanc-de-peau-de-type-intellectuel, a priori assez différent d’elles (moi !).

• Le  déroulé:

  1. 1  Chaque participante se présente brièvement.
  2. 2  J’affiche :«Nous sommes faits de la même étoffe que les rêves, la vie n’est qu’une ombre qui passe, c’est un récit plein de bruit et fureur, viens chère nuit au front noir. » (Blaise Cendrars).
    Étonnement ! Je propose que nous nous mettions en recherche de ce que peut signifier cette phrase.
  3. 3  Chacune découpe dans des magazines de quoi faire un collage de ses rêves, des plus simples aux plus « inaccessibles ».
  4. 4  Nous visionnons des extraits de Human de Yann Arthus-Bertrand. J’ai choisi des témoignages dans deux parties: « Mon plus grand bonheur » et « Ma plus grande tristesse. »
  5. 5  Les productions sont exposées et nous cherchons celles qui «se ressemblent beaucoup ».
  6. 6  Nous les collons bout à bout en veillant à varier les registres, puis les affichons. La fresque obtenue fait plusieurs mètres de long.
  7. 7  Nous revenons à la phrase initiale de Cendrars et, sur la base de ce que nous avons produit, nous discutons sur le sens qu’elle prend maintenant, en particulier le sens de la fin, cette « chère nuit au front noir ».

 

« Comme un autre dans la ville » Un projet d’écriture collective

Un projet coopératif, c’est d’abord un défi, ce sont ensuite des actions au quotidien, mais c’est surtout un choix, une posture. Partons dans le sud de la France et voyons ce qu’il en a été à Manosque où plus d’une centaine de personnes ont un jour « écrit ensemble ». Êtes-vous prêt·e·s  ? Avez-vous pris papier et crayon ? Les valises sont-elles bouclées ?

L’histoire se passe à Manosque, une petite ville de Provence qui accueille depuis quelques années un festival cultu- rel appelé «journées de la correspondance». Une ville fière que cette initiative puisse se tenir chaque année à l’automne dans ses murs et accueillir des auteurs connus, médiatisés qui viennent présenter leurs livres récents.

Manosque est une cité qui, à côté de la bibliothèque-média- thèque « classique », a créé une bibliothèque hors-les-murs dont le but est de développer la lecture publique au plus près de ses habitants. C’est donc aussi l’histoire d’une municipalité qui, outre les actions lecture qu’elle prévoit, imagine que les habi- tants souhaitent aussi écrire, se risquent à le faire, puissent en faire l’expérience. Elle a donc contacté pour cela des formateurs susceptibles de les accompagner1 !

C’est également une affaire de coexistence entre trois concep- tions du « lirécrire » et peut-être un espoir de coopération à venir dans un environnement culturel complexe : d’un côté, un espace très médiatisé autour d’un temps fort de quelques jours, supposé susciter l’appétit de lire chez les habitants et les visiteurs de pas- sage ; d’un autre, une mise à disposition de livres dans la durée, assise sur un équipement local de qualité qui s’adresse plutôt à des habitués; enfin, un événement à l’échelle d’une année, construit autour de l’idée de lien social2 où, à travers un lir- écrire partagé, l’on cherche à décloisonner, à inclure et traverser des espaces sociaux de proximité souvent disjoints.

C’est finalement, pour moi, pour Odette Neumayer avec qui j’ai mené ce projet, un bout de mémoire que je propose ci-dessous avec le souhait de parler de coopération: d’abord en écriture, puis plus largement dans les apprentissages. Le désir de m’adres- ser aux acteurs de l’alpha et du FLE, à ceux des formations linguistiques de base, mais plus encore à tous ceux qui sont en recherche d’un lirécrire qui promouvrait une citoyenneté nourrie par un projet de création. Ce point étant à mon sens un aspect important à préserver, et plus encore à développer dans toute politique de lutte contre les discriminations, qu’elles soient liées aux origines, à la pauvreté, ou à l’école. Une politique qui se préoccupe de mentalités et d’estime de soi.

Lire le texte intégral en pdf

ja217_p074_neumayer

L’écriture en atelier, une pratique inattendue et concrète de la démocratie ?

Ce texte est paru dans le Journal d’alpha à Bruxelles.

Connaître le site du Journal de l’alpha et d’autres textes des mêmes auteurs

Pour faire exister une notion telle que celle de démocratie, nous avançons que l’écriture en atelier ouvre bien des espaces, et plus particulièrement : un espace de réflexion sur la notion de vérité passant entre autres par la question des choix que l’on fait quand on écrit; un espace d’échange entre personnes dans lequel on découvre que les mots sont nos alliés mais aussi parfois des pièges ; un espace d’invention et de transmission où la ‘mise en fiction’ nous aide à mieux nous situer dans l’espace et le temps ; un espace tissé de normes, un cadre (l’atelier est un dispositif réglé) qui autorise un hors-cadre.

 

Le mot démocratie peut se décliner sur deux registres : – En tant que concept, la démocratie est un nœud où se croisent et se disputent des conceptions politiques,

des habitudes culturelles et sociales, de l’histoire et de l’identité. Elle est donc un objet à penser ensemble, un champ de savoirs à élucider de manière ambitieuse et critique.

En tant que valeur, elle guide nos actes dès lors que ‘l’option d’autrui’ est vécue comme centrale. Il s’agit non seulement de savoir qui nous sommes, mais encore quelles relations, quelles structures sociales et politiques imaginer pour vivre ensemble dans le respect de chacun. Nous y croyons, nous nous engageons pour elle. D’où plusieurs questions : et si l’atelier d’écriture était un moyen de rendre cette notion accessible à tous, une voie inattendue pour en comprendre les multiples aspects ? Et puis, quels pourraient être les apports d’une écriture en atelier qui prend appui sur des idées d’Édu- cation nouvelle 1 et de Culture de paix ?

Rappelons que « la culture de la paix consiste en des valeurs, des attitudes et des comportements qui reflètent et favorisent la convivialité et le partage fondés sur les principes de liberté, de justice et de démocratie, tous les droits de l’homme, la tolérance et la solidarité, qui rejettent la violence et préviennent les conflits en s’attaquant à leurs causes pro- fondes et à résoudre les problèmes par la voie du dialogue et de la négociation entre les individus, les groupes et les États et qui garantissent à tous la pleine jouissance de tous les droits et les moyens de participer pleinement au processus de développement de leur société. »

Les valeurs se construisent dans les pratiques et non dans les discours. Si on adopte ce parti pris matérialiste, la question est de savoir com- ment est ‘dimensionné’ le concept de démocratie. ‘Dimensionne- ment’ est un mot que nous avons découvert en travaillant avec le philosophe Yves Schwartz 3 à Aix-en-Provence. Il s’agit, selon lui, de porter l’attention à l’idée certes, mais surtout aux formes – adéquates ou non – dans lesquelles un concept, quel qu’il soit, s’incarne, se développe et finalement peut se mesurer.

L’atelier d’écriture est-il une forme adéquate pour dimensionner la notion de ‘démocratie’ ? Pour la faire exister même modestement, et permettre à chacun de mieux la comprendre ? Oui, nous en sommes convaincus et pensons qu’il est urgent d’approcher d’une manière générale les concepts de manière créative ! Il est encore plus urgent peut-être, mais dans un deuxième temps, de partir ensemble à la recherche d’arguments qui, dans l’actuel monde de la formation plu- tôt obsédé par le chiffre, ‘légitiment’ ce croisement d’objets aussi dis- parates que des concepts, des valeurs et des pratiques de création.

En rédigeant cet article à propos de notre parcours à l’Université de printemps 2013 à La Marlagne, nous constatons à quel point nous avons, d’atelier en atelier, suivi presque à notre insu un seul et même fil rouge : celui de la vérité et de notre rapport à la vérité. Nous pen- sons que c’est là un des fondements du vivre en démocratie.

Lire le texte en intégral en pdf

ja192_p043_neumayer

 

Poétique de la fabrication (en pensée avec Gianni Rodari)

Ce que j’apprends en fabricant des livres objets

Odette et Michel Neumayer
Récit d’un atelier conçu et animé en coopération avec Antoinette Battistelli, Céline Felder, Anne-Charlotte Liprandi du GFEN Provence.

La poésie une affaire de sens ? Non, le sens à lui tout seul ne fait pas poésie. Alors, la poésie une affaire de forme, d’emballage original pour une parole qui voudrait s’énoncer différemment ? Non plus, car la poésie ne serait alors que souci ornemental. A quoi reconnaît-on alors la poésie ? L’hypothèse retenue serait qu’elle est précisément une affaire de relation entre un sens et une forme.

Certes, dans ce qui suit, nous glisserons allègrement de « poésie » à « poétique ». Mais pas pour nous appuyer sur l’acception habituelle du terme « poétique » qui renvoie à cette « partie des sciences du langage mettant au jour le fonctionnement organique et formel des textes » (Todorov). Nous nous intéresserons à une autre signification plus inhabituelle, plus aléatoire mais si riche, dans laquelle est envisagée la dimension de la production de savoirs propre au texte poétique, un processus dont le point de départ est l’identification des liens qui unissent en un même objet des strates de natures diverses voire disparates. Forme et sens en interaction, impliqués l’un dans l’autre dans leur globalité et dans leurs détails.

L’atelier raconté ci-dessous n’a pas pour visée la production de textes poétiques mais veut illustrer en quoi, menée conjointement, l’élaboration d’une forme et d’un sens peut nous surprendre, nous ravir et finalement nous mettre dans un état que l’on pourrait qualifier « d’émotion créatrice ».

Cet atelier d’écriture et de fabrication de livres-objets pour enfants a une histoire : il prend place dans un cycle de réflexion autour du thème fédérateur « Porteurs d’espoirs, les livres2 » (Voir encadré n°1). Il fait écho et prolonge une animation menée à Aubagne par Dominique Piveteaud3 en novembre 2004 sur la question de l’apprentissage de la lecture par les albums. Il en reprend les idées de culture et « d’objet patrimonial ». Il répond à la volonté de faire accéder à la littérature tout citoyen, quel que soit son âge. Un accès actif à partir de pratiques culturelles réelles et variées. Il illustre une hypothèse déjà explorée, il y a quelques années, et à laquelle nous tenons : écrire pour aller lire ! Non pas « écrire pour lire » mais écrire, produire, fabriquer pour s’engager sur le chemin des textes. Vivre des pratiques culturelles qui transforment le rapport à l’écrit, étrangent le regard et n’enferment pas le livre dans le dos-carré-collé de format standard.

Lire la suite
OMNeumayer_poétique-de-la-fabrication copie