« Mosaïques d’expériences » (Mahdia Tunisie 2012)

Le lecteur curieux, le pédagogue attentif, la participante intéressée, tous se demanderont comment une telle quantité de textes a pu être produite pendant les trois jours et demi qu’auront duré les Rencontres de Mahdia.

Pour la première fois en terre d’Afrique, en Tunisie, avait lieu un rassemblement des mouvements d’Éducation nouvelle, certains tout nouveaux comme ceux de Tunisie justement, de Haïti, du Luxembourg, d’autres plus anciens comme ceux de France ou de Belgique, de Suisse romande, et enfin ceux qui allaient se constituer dans la foulée…

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MOSAÏQUES (3 Mo - 120 p.)

 

Rencontrer l’autre, oui mais comment ?

Tout le monde conviendra que se rencontrer, c’est parler et se parler, échanger, s’écouter. C’est nécessaire, mais est-ce suffisant quand la Rencontre veut être sous le signe de l’Éducation nouvelle ? Voilà pourquoi les organisateurs sont partis du principe que c’est autour d’un travail commun que l’on va plus loin. « La pensée naît de l’action pour retourner à l’action » affirme le psychologue français Henri Wallon[1] (1). La spécificité de l’Éducation nouvelle est d’interroger les questions qui se posent à elle par le biais d’ateliers et de mises en situation. Chaque matin, les quelque 80 personnes présentes avaient la possibilité de participer à des ateliers ou démarches qu’animaient ceux ou celles qui en avaient fait la proposition préalable.

 

Mais, vivre un atelier en petit groupe, là encore, est-ce suffisant pour comprendre les enjeux et les apports de telles Rencontres ? Qu’est-ce que chacun, chacune y apporte ? Que peut-il ou elle ensuite rapporter, transposer, injecter, transmettre de cette expérience dans sa vie professionnelle quotidienne ? Quelle mémoire garde-t-il de ce qu’il a vécu pour le faire vivre à son tour ailleurs ? Par quelles médiations subtiles, les thèmes, matériaux, questions travaillés ensemble (maths, arts plastiques, langue, etc.) rencontrent-ils l’expérience actuelle de chacun et peuvent-ils l’enrichir ? Autant de questions, autant de réponses !

 

L’atelier d’écriture, sa mise en œuvre, ses effets

Un temps de 2 heures, intitulé « Mosaïques d’expériences » était réservé chaque après-midi pour un atelier d’écriture dans lequel les participants pouvaient revenir sur leurs découvertes, leurs surprises, leurs réflexions du matin et commencer à les analyser. « Mosaïques », en Tunisie le terme s’impose, surtout quand on se trouve à quelques kilomètres du musée archéologique d’El Jem. S’il désigne la beauté de l’objet final, il dit aussi qu’un travail d’assemblage a eu lieu, dans notre cas une action de montage et d’ajustage d’expériences singulières et fragmentaires.

 

La forme épistolaire fut choisie, d’abord pour assurer une cohérence dans la diversité des coutumes et des choses vécues. Et puis, la relation épistolaire a ceci de magnifique que selon que l’on s’adresse à sa famille, à son directeur, à une collègue… l’argumentation ne sera pas la même. Les affects et les concepts n’auront pas le même poids. Le regard porté sur l’activité du matin s’en trouvera différent.

 

Au cœur de cette production de récits, remarques et échos adressés, joue pleinement le fameux triangle anthropologique du « Donner – recevoir – rendre » de l’anthropologue Marcel Mauss[2]. Un don d’ateliers a été organisé (une dizaine chaque matin) ; ceux-ci ont été « reçus » par l’ensemble des participants, compris, réinterprétés ; et par le fait d’une relation épistolaire, s’esquisse la transmission de cet apprentissage, « rendu », mais à d’autres, extérieurs aux Rencontres de Mahdia.

 

Le défi de ce rituel particulier, tout entier consacré à la production de traces, d’une archive des Rencontres a été fort bien accueilli. Sept petits groupes se sont organisés autour d’animateurs volontaires et d’une même proposition de travail collectif (voir en annexe).

 

Une thématique différente donnait la tonalité de chaque journée et c’est ce qui a guidé l’atelier d’écriture :

  • S’inscrire dans une communauté d’apprentissage : en effet, la question se posait de comprendre comment, dans cette juxtaposition de 80 personnes, venues de tous les coins du globe, l’individu s’y prenait pour manifester son appartenance toute fraîche à ce groupe, dans ce lieu qui réfléchissait sur les apprentissages ? Parallèlement, que doit faire, que va faire la communauté pour que chaque « Je » puisse s’y inscrire, chaque porteur ou porteuse d’expérience ? La notion de communauté : utopie ou réalité ?
  • Le droit à la réussite était la problématique du deuxième jour. Le mot « réussite » aurait tendance à impliquer que chacun est comptable ou responsable de son propre échec ou de sa réussite, de manière individuelle. Y accoler la notion de « droit », renvoie à ce que fait la société et son école pour garantir l’accès pour tous à ce droit. Donc, quelle pédagogie et quels professionnels pour quelle réussite ?
  • Changer de regard et de pratiques, en matière de formation, de culture, de société. Trois jours pour adopter un autre point de vue, pour connaître des façons de faire nouvelles, pour se frotter aux idées des autres, c’est bien peu ! Et pourtant, les textes reproduits ici reflètent cette montée en puissance, cette volonté farouche de refermer les portes de Mahdia en emportant en soi (cœur et tête) la quintessence, la ‘substantifique moelle’ de ce que peut mettre en mouvement l’Éducation nouvelle.

 

Une certaine conception de l’écriture

– Écrire, ce n’est pas retranscrire, mais s’autoriser à (re)construire ce qu’on a vécu.

– Pour écrire, il faut commencer quelque part (n’importe où, ou presque, pourvu que l’on démarre). Ensuite on peut rectifier, compléter.

– Pour écrire, il faut des mots d’abord, les idées viennent ensuite.

– L’écriture en groupe n’est possible qu’à partir d’un minimum d’empathie pour les productions des autres. Est essentielle l’acceptation de suspendre son jugement sur ce qui est en train de s’écrire.

– Le but de chaque atelier est d’abord de se convaincre du « tous capables » !

 

L’écriture réflexive, comme toutes les autres, qu’elles soient poétiques ou narratives – n’est pas le fruit d’un don mais le résultat d’un vrai travail. Recherches collectives de mots, échanges autour de notions en tension, production de « je me souviens », premiers jets, ont à chaque fois été les tremplins vers un texte final, une « lettre à la personne de mon choix » qui reliait les participants à un extérieur réel et/ou fictif.

Mosaïque d’écrits, de destinataires, d’accroches. Ce sont autant de facettes, de tesselles qui font une œuvre collective, chacun restant maître de sa compréhension. Nous avons donc choisi de publier tous les textes. Ils sont organisés selon la logique d’un abécédaire qui se veut totalement subjectif. L’ensemble ne constitue ni une théorie, ni un récit exhaustif. Cependant, l’idée que l’Éducation nouvelle, pensée historique, a besoin de se constituer des archives de ce qui se passe réellement dans ses Rencontres a beaucoup joué dans la proposition de vivre tous ensemble ce défi d’écrire.

 

« Écrite, l’expérience est un capital », dit Guy Jobert, professeur en Sciences de l’Éducation à Genève.

OM & MN

 

 

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[1] Henri Wallon (1879 – 1962) est un philosophe, psychologue, neuropsychiatre, pédagogue et homme politique français. Il fut président du Groupe français d’Éducation nouvelle de 1946 à 1962.

[2] Marcel Mauss (1872 – 1950) est généralement considéré comme le fondateur de l’anthropologie française. Son œuvre majeure : « Essai sur le don » dans laquelle il aborde en particulier la notion de don / contre-don.