Intervention au Colloque
« Théorie et pratique de l’écriture collective »
12 et 13 Mai 1995 à Bruxelles
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« C’est dans ta langue que tu me parles,
c’est dans ma langue que je te réponds »
Edouard Glissant
« Ecrire, créer dans un collectif » pourrait n’être qu’un truc, un bon truc pour faire écrire plus facilement, pour lutter contre la peur et le sentiment de solitude que beaucoup ressentent devant la page blanche. Ecrire en collectif comme on fait de l’escalade en groupe ou de la poterie.
Or, à y réfléchir de plus près, cette expression anodine en apparence, nous confronte à des questions bien plus complexes dès qu’on veut entrer dans les détails et légitimer des pratiques précises comme l’écriture en atelier. Alors on ne peut plus se contenter de dire qu’on est pour ou contre l’écriture dans un collectif, comme on serait pour ou contre les vacances en famille par exemple. Les arguments de la convivialité, de la bonne humeur partagée ou de l’entraide ne suffisent plus. Il y a à s’expliquer sur une théorie de l’écriture, une théorie du sujet écrivant, usant de soi en usant de la langue et les choses se compliquent.
Notre proposition est de réfléchir à l’écriture dans un collectif en passant par une notion qui de notre point de vue lui est liée, celle de dispositif. On pourrait dans un premier temps qualifier de « dispositif » toute structure qui permet de réunir des sujets et des textes, qui permet d’ordonner et d’accueillir aussi bien des écrits que des fragments d’expérience, des réflexions, des points de vue, etc.
Par dispositif on pourrait entendre tout ce qui permet de dépasser une conception individualiste de l’écriture et qui redonne à la création une dimension collective qu’elle n’a jamais perdue mais qu’elle a souvent oubliée. Comme si on pouvait créer à partir de rien et sans les autres, même si l’aventure est toujours singulière!
Si on pouvait se glisser dans la pensée d’un participant novice à un atelier d’écriture n’y trouverait-on pas toutes sortes de questions… vais-je être capable ? qu’est-ce que j’aurais dû lire avant de venir ? que vont penser les autres de mes écrits ? serai-je content(e) de moi ? … à quoi cela sert-il finalement d’écrire et de participer à un atelier ? est-ce bien sérieux ? vais-je pouvoir réutiliser en classe / en stage ce que j’aurai vécu ici ? seront-ils capables de stimuler mon désir d’écrire, de me donner des outils ?
Mais il y a aussi à créer une ambiance. Nous nous demandons toujours comment faire que les participants à nos ateliers en parlent autrement qu’en termes approximatifs (« c’est convivial »; « c’est sympathique »; « c’est agréable » ou « c’est une souffrance », « c’est dur », « ça surprend », etc.). Penser l’écriture comme un travail, lui-même en relation avec le travail des d’animateurs nous semble une question féconde à laquelle nous voudrions répondre ici par quelques développements brefs.
Notre idée est de fédérer autour du concept de dispositif, autour de l’idée que l’atelier d’écriture est un emboîtement de dispositifs, ce que la pratique et des années d’invention et d’animation d’ateliers d’écriture pour toutes sortes de publics nous ont permis de comprendre et d’expérimenter. Ce serait une manière d’évoquer nos façons de faire, nos outils, ainsi que des savoirs que nous traduisons en consignes destinées à être mises en œuvre, testées, éprouvées pour qu’ensemble nous progressions vers une écriture partagée.
Le concept de « dispositif »
« Dispositif: a) Manière dont sont disposées les pièces, les organes d’un appareil; le mécanisme lui-même b) (Militaire) Ensemble de moyens disposés conformément à un plan ». (Le Robert)
Il y aurait
« les textes / le texte comme dispositif » : ce qui fait qu’écrire est toujours réécrire, cheminer de fragments en fragments vers un texte plus complexe, plus construit qui intègre et « digère » ce qui a été écrit précédemment et fait qu’une expérience se constitue peu à peu en chaque participant.
« l’atelier comme dispositif » : cet ensemble calculé de consignes visant la production, les mises en commun, le partage de textes, le partage des questions, la réflexion sur la manière dont chacun a « répondu » aux consignes ou les a traitées.
« le stage comme dispositif » : ce qui ne se voit pas, ce jeu de forces qui englobent le stage – le poids des contextes institutionnels, la nature des commandes, les projets, etc. – qui agit sur le contenu des ateliers, de la commande à la mise en œuvre et jusque dans l’évaluation .
Bifurcation 1
Mais parce qu’il s’agit aussi de rendre compte d’un moment de réflexion dans le cadre d’un colloque, nous avons commencé par une modeste consigne de travail…
Les personnes présentes sont invitées à nommer, à partir de leur expérience d’écriture, une ou plusieurs chronologies possibles de fabrication d’un texte (les phases, les moments par lesquels on passe). On repère des temps chauds, des temps froids. (Bref échange oral).
Analyser un atelier par le menu
L’invention d’ateliers d’écriture est de l’ordre d’une création, voire d’une co-création.
En écho à la réflexion de chacun, nous proposons l’exemple concret d’un atelier inventé par nous : « Voyage dans et contre Henri Michaux » (en hommage à la Belgique), ceci pour illustrer la manière dont nous aménageons l’accès à l’écriture.
Quelques ingrédients pour poser le cadre et amorcer la relation entre animateurs et participants :
- Un défi: « Tous capables d’écrire » … à condition d’avoir été mis en situation de le faire. Ce qui compte c’est le pari sur soi et les infinies potentialités de l’être humain.
- Un titre : il doit questionner, mettre en appétit, nommer quelque chose dont on se souviendra par la suite.
- Des pistes et problématiques qui seront explorées ensemble: écrire dans les parages d’un auteur; écrire pour lire…
- Des moments d’échauffement : fresques, jeux de rôle, arts plastiques, une promenade, etc. Commencer (autour d’un inducteur) à constituer un trésor collectif de mots et s’y baigner. Pourquoi ce bain ? Parce qu’on écrit avec des mots d’abord, parce que les idées viennent ensuite, amenées par les mots.
Puis une montée en puissance, de phase en phase, une avancée vers plus de cohérence, vers un approfondissement. On accède à toutes sortes d’écrits. On écrit et on réécrit, on change d’angle d’attaque, on va vers un temps fort et vers une écriture de plus en plus personnelle et individuelle (ce qui ne signifie pas qu’on oublie les autres)
On travaille à partir de consignes variées et d’outils différents (ex: les incipit, l’écriture effervescente, les cartographies, la traduction d’un objet en fragment écrit, etc.), les participants sont invités à produire du texte. Chaque phase appelle une production et une mise en commun. On va vers une cohérence, une écriture qui rassemble et qui reconstruit.
Dans l’atelier Michaux on finit par écrire à Michaux, en pair, en interlocuteur qui a quelque chose à dire.
Pourquoi l’analyse réflexive
Celle-ci est un moment fondamental de l’atelier d’écriture. On y nomme les outils repérés, les points de « résistance », les difficultés et les joies rencontrées, les réinvestissements possibles, etc. On revient sur les pistes qui maintenant prennent du sens. Chacun y reconnaît ses propres processus dans l’utilisation créatrice des mots.
Les animateurs, ne répondent pas aux questions, mais invitent à problématiser : quelles sont les références, quels sont les éléments théoriques sous-jacents, quelles relations peut-on établir avec d’autres ateliers, comment aller vers une théorie de l’écriture provisoire, modeste, mais sans laquelle il n’y a pas d’atelier ?
Bifurcation 3
Texte de Filigranes (Revue d’écritures) n°27 « L’âge du faire »
« L’âge du faire »
« Il y a des moments où l’on oublie expérience et précautions »
Jacques ABEILLE (Les carnets de l’explorateur perdu) Ed. Ombres
Le feu continu est là, au sein même de la question. « Qu’est-ce qu’écrire? Écrire, pour quoi faire? ». Les textes, chantiers où l’on s’aventure seul et pourtant accompagné, témoignent de la persistance têtue du faire pour que se construisent des réponses toujours singulières.
Pris dans nos limites et nos explications, nous tentons de démêler la polysémie du faire. Le temps n’appartient-il qu’à l’urgence? Que sais-tu de ce que tu fais? Comment parles-tu de ce que tu as fait? Tu t’ingénies à lancer des
passerelles entre l’être et l’invisible du faire, à trouver, d’activités infiniment réinventées en quête délibérée d’hominisation, un mode d’emploi inédit à cet horizon qui t’échappe sans cesse.
Certains textes ne s’écrivent que pour traquer l’énigme de leur propre production. Détricoter la trame et la retricoter. Ils portent plus que de coutume la trace apparente d’un faire en travail, au-delà du texte et l’englobant. Travail d’écriture, cristallisant des lois, des normes, des rites, à l’échelle de la page et pour le plaisir d’exister. La langue contrainte, arrondie, tordue parfois, sort pourtant de l’épreuve comme vierge à nouveau, l’air de couler de source. Subtilités du jeu comme acte de faire avec de l’absence.
D’autres, souvenirs d’un faire particulier, sont matières à histoires, jubilations, desseins donnant du sens aux actes. Quand au faire succède le dire, quand le faire est union d’expérience et de connaissance alors s’annoncent les saisons d’émancipation. MN OZN
(la langue n’est pas transparente; on ne « s’exprime » pas, mais on serait plutôt exprimé par le texte ; écrire c’est commencer n’importe où, laisser proliférer le texte, puis retravailler, retailler ; écrire n’est pas forcément transcrire une idée ; un texte est toujours adressé au « fantôme d’autrui que chacun porte en soi » ; etc.)
Eléments d’une philosophie sous-jacente
L’atelier est une structure vide à investir, une structure en attente de textes, une structure pleine d’espérance qui appelle des rebondissements, des inventions, des audaces, des ivresses pour comprendre et dépasser les contraintes.
Au cœur de l’atelier, une dialogie s’installe entre animateurs et participants. Derrière la structure, derrière le canevas, il y a la subjectivité des inventeurs, les questions d’écriture qu’ils se posent ou dans lesquelles ils se débattent; leurs lectures, leurs auteurs fétiches; leurs goûts, leurs intuitions; la langue qui est la leur et leur façon de formuler des consignes; l’immatériel de la mise en travail de l’imaginaire et la mise en travail du texte; la confiance qu’ils sont capables d’accorder à l’autre-participant permet à cet imaginaire de se concrétiser. La mise en jeu de l’imaginaire dans les ateliers d’écriture est régulatrice de la vie mentale profonde, tout en restant un jeu, un travail-jeu avec les mots.
La dimension collective :
Le dialogue / l’intertextualité s’installent :
- entre participants: on confronte nécessairement ce qu’on a fait avec les productions des autres ; on « pille » des idées ; on prend parfois conscience des barrières mentales qu’on s’est imposées et on se promet de ne pas recommencer! (les animateurs écrivent eux aussi).
- entre participants et ce qu’ils lisent par ailleurs, ou connaissent des textes, des auteurs (l’intertextualité élargie ; écrire c’est toujours répondre à un texte déjà existant) ; l’atelier devient un lieu où se tisse et s’entretient un lien social parce que s’y travaille sous des formes multiples le rapport à l’autre sous le double aspect du réel (le réel des textes, des échanges, etc.) et de l’imaginaire (le texte, l’atelier comme « autre scène », comme lieu de l’imaginaire).
Mais la relation est à regarder ici non comme technique mais comme éthique.
Bifurcation
Les chantiers sur lesquels nous sommes actuellement et nos pistes actuelles :
-
- l’analyse du travail et des pratiques professionnelles par l’écriture : écrire pour mettre en patrimoine.
- Nommer les compétences pour animer. Penser la formation des animateurs/inventeurs et penser le passage du statut de militant, d’amateur, de bricoleur à des métiers nouveaux. (cf. la formation de bibliothécaires aux « Allumettes » à Aix). (Distinguer les gens qui veulent se former à l’écriture pour écrire eux-mêmes et ceux qui veulent se former à l’animation et à l’invention d’ateliers d’écriture).
- La place des ateliers d’écriture dans l’élaboration de l’écriture contemporaine.Brouillons divers
Chère Karine,
Voici le descriptif de l’atelier que nous proposons pour le colloque. Nous espérons que cela conviendra car nous sommes plus « animateurs » que « discoureurs ». Les Postes françaises sont en grêve depuis quelques semaines, surtout dans les Bouches du Rhône, donc, nous n’avons reçu aucun courrier de toi depuis ta lettre de fin février.
Notre proposition est de réfléchir à l’écriture dans un collectif en passant par une notion qui notre point de vue lui est liée, celle de dispositif.
Nous distinguerons trois types de dispositifs: le stage comme dispositif, l’atelier comme dispositif d’écriture en collectif, l’écriture fragmentaire et les dispositifs d’accueil de fragments.
Nous ne voulons pas faire du dispositif une question purement « technique ». Ce qui nous intéresse ce sont
-
- a) les partis pris sur l’homme et sur la pertinence sociale des ateliers d’écriture: le dispositif est alors un lieu favorable pour « faire de l’écriture un bien partagé », pour penser la place de l’autre dans un travail qui est toujours le fait d’un sujet singulier mais aussi social.
- b) les processus de création: écrire en atelier signifie qu’on opère un certain nombre de ruptures par rapport aux représentations dominantes de la création et aux théories de l’écriture.
- c) l’activité de l’animateur avant, pendant et après l’atelier: nous rejoignons là ta question initiale « conditions, moyens, finalités de l’atelier d’écriture » en proposant aux participants de réfléchir aussi à « la pédagogie » de l’atelier (la création comme recherche; le rôle des consignes; le rôle de l’analyse réflexive).
« Ecrire, créer dans un collectif » pourrait n’être qu’un truc, un bon truc pour faire écrire plus facilement, pour lutter contre la peur et le sentiment de solitude que beaucoup ressentent devant la page blanche. Ecrire en collectif comme on fait de l’escalade en groupe ou de la poterie.
Or, à y réfléchir de plus près, cette expression anodine en apparence, nous confronte à des questions bien plus complexes dès qu’on veut entrer dans les détails et légitimer des pratiques précises, l’écriture en atelier par exemple. Alors on ne peut plus se contenter de dire qu’on est pour ou contre l’écriture dans un collectif, comme on est pour ou contre les vacances en famille ou que sais-je encore. Les arguments de la convivialité, de la bonne humeur partagée, ou de l’entraide ne suffisent plus. Il y a à s’expliquer sur une théorie de l’écriture, une théorie du sujet et les choses se compliquent.
Notre proposition est de réfléchir à l’écriture dans un collectif en passant par une notion qui notre point de vue lui est liée, celle de dispositif. On pourrait dans un premier temps qualifier de « dispositif » toute structure qui permet de réunir des sujets et des textes, qui permet d’ordonner et d’accueillir aussi bien des écrits que des fragments d’expérience, mais aussi des réflexions, des points de vue, etc.
Par dispositif on pourrait entendre tout ce qui permet d’aller au-delà de conceptions individualistes de l’écriture et qui redonne à la création une dimension collective qu’elle n’a dans les faits jamais perdue mais qu’elle a souvent oubliée, au nom de l’avènement d’un sujet démiurge, pur produit de lui-même
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I.- Première partie:
le dispositif, un immeuble à trois étages
a/ l’atelier comme dispositif
Les multiples formes de l’écriture en collectif
Bien que les ateliers d’écriture se développent, écrire dans un collectif est une pratique encore inhabituelle, et les auteurs « collectifs » sont encore rares.
L’expression « écrire dans un collectif » regroupe toutes sortes de pratiques :
- textes conçus et écrits individuellement puis lus dans un groupe,
- textes conçus collectivement (certains récits ou contes par ex. dans les ateliers du GFEN), réalisés ensuite en partie individuellement puis « montés » comme une production collective,
- textes conçus et réalisés en totalité dans le cadre d’un groupe (écriture à 2, à 3, quelques fois plus )
- textes produits individuellement puis échangés dans le cadre de l’atelier dans le but de donner lieu à des réécritures, des écritures en dérive, etc.
- textes écrits individuellement puis co-publiés dans une revue par ex., etc.
Ces pratiques ne sont possibles que parce que dispositif structure, etc.
b/ l’écriture fragmentaire et les dispositifs d’accueil
- plaquette
c/ le stage comme dispositif
le stage RPE
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2.- Deuxième partie:
questions à l’écriture en atelier
Quelle est la question posée?
Dans l’écriture de groupe on est à la fois :
- dans une problématique de la rupture avec l’écriture individuelle (rupture avec le modèle dominant hérité du XIXè fondé sur une psychologie de l’intériorité, sur l’écriture comme « expression d’un sujet »)
- dans une problématique d’invention de formes nouvelles de pratiques artistiques (élaboration de protocoles; travail sur projet collectif; cf. atelier question à la sciences, Cortazar, etc.)
- dans une problématique de formation /co-formation (apprendre entre pairs, avec et contre eux) . Comparer / co-piller les procédés que chacun emploie
- dans une réflexion sur ce qu’est un auteur, une signature, une expérience
- dans la confrontation et la circulation des imaginaires (être à l’écoute des imaginaires des autres, ; problème de la commensurabilité)
Il s’agit donc de bien préciser sur quel plan on souhaite se situer.
Au service de quelles valeurs ?
Si l’intention est que « chacun apprenne à écrire » pour soi, pour son usage personnel, écrire dans un collectif est un risque et une chance. Un risque, celui de s’exposer au regard des autres, d’être jugé. Une chance, celle de confronter des points de vues, des façons de faire ; de mesurer les échos qu’un texte qu’on a écrit peut avoir sur d’autres ; de s’enrichir des manières de faire d’autrui.
Si l’intention est de « faire de l’écriture un bien partagé » (c’est notre intention), s’il s’agit de permettre à tous d’accéder à l’écriture, écrire dans un collectif est une nécessité et un choix pédagogiques. Pourquoi?
Le travail de l’animateur
L’atelier d’écriture comme situation de travail (le schéma)
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3.- Ouvertures
Des questions nouvelles
celle des frontières :
– où s’arrête dans le temps l’auteur collectif ? le temps de l’atelier d’écriture ? et que se passe-t-il à l’issue de l’atelier? Comment se transformer ensuite en auteur « individuel » ? Est-ce possible ? (Place de l’analyse réflexive, du projet, etc.)
– celle du texte : comment « mesurer » ce qui renvoie à l’individu, ce qui renvoie au groupe ?
– celle du sujet : un sujet hors de toute vie collective est-il pensable ?
Définition du « dispositif »:
- a) Manière dont sont disposées les pièces, les organes d’un appareil; le mécanisme lui-même
- b) (Militaire!) Ensemble de moyens disposés conformément à un plan
La dimension collective dans l’écriture : « l’atelier comme dispositif «
A un premier niveau (ce qui est apparent), elle est fondée sur les mises en commun, les partages de textes, les partages de questions. La réflexion sur la manière dont chacun « répondu » aux consignes. Il n’y a pas UNE manière de répondre, mais autant de manières que de sujets: chacun use de la consigne.
Si on veut expliquer, il faut se demander quelle théorie on veut utiliser :
. par ex. à partir de la distinction entre travail prescrit / travail réel (il faut une théorie du travail pour lire le travail d’écriture)
. par ex. à partir d’une théorie épistémologique: on écrit avec et contre les autres. Ceux qui sont là, ceux qui fonctionnent dans nos têtes comme « modèles » (fascinant ou repoussant / z’auteurs fétiches ou non)
La dimension collective dans « le stage comme dispositif »
La notion de dispositif (appliquée cette fois-ci au stage dans son ensemble) devrait nous permettre de mettre en évidence ce qui ne se voit pas, un nouvel « invisible » : les effets de ce qui englobe le stage (son contexte institutionnel, et autres) sur son contenu.
Avec quels concepts parler de ce qui « englobe » l’atelier?
. ceux par ex. issus des théories de la formation:
analyse de la commande / demande,
ou encore celui d’anticipation de l’après: bâtir le stage comme « dispositif » signifie qu’on intègre la question des effets et projets de l’après-stage dans l’ici et maintenant: projets personnels, professionnels, institutionnels, etc.
Ils permettent peu de penser la dimension collective. Ils sont plus dans une logique de l’acteur et des systèmes.
. ceux issus de l’analyse du travail: celui de « situation d’écriture » qui nous semble des plus féconds.
La « situation d’écriture » renvoie à la situation de formation (cf. Clot).
Les tâches d’écriture s’inscrivent dans une relation entre
– un sujet (son histoire, ses connaissances, ses goûts, etc.),
– une institution,
– des animateurs qui ont négocié avec le commanditaire.
Les tâches se présentent sous le double aspect d’un ensemble de consignes (travail prescrit) et d’un ensemble d’actes (travail réel).
Ils relient « dimension collective » et « dialogie » ou dialogue de sujets à sujets autour des buts et des mobiles. La dimension collective de l’écriture réside ici dans une dialogie élargie entre les trois pôles: animateurs / stagiaires / institutions. Il y a négociation entre eux ….
Le stage à lire comme dispositif parce qu’il fondé sur…
– la variété des ateliers: mise en place d’un large éventail de types d’ateliers (variété de longueur, de thématiques, de genres) exp. des RPE 94 ?
– un bout à bout qui répond à une logique, (subjective elle aussi, comme celle qui caractérise la succession des phases d’un atelier (cf. la dialogie à l’œuvre entre concepteurs et participants):
* logique de la complémentarité: des ateliers d’écriture de fiction, du récit, mais aussi des écritures réflexives parce que les temporalités de chacun de ces types d’écritures varient
* des moments de production et des moments d’analyse (en fonction de la commande, du thème, du cadre institutionnel)
User de soi usant de la langue
Ecrire est une aventure singulière, même si l’on écrit dans un collectif et même si d’autres, appelés pour l’occasion « animateurs d’ateliers d’écriture « , ont pensé le dispositif ou les prescriptions destinées à lancer sur les chemins de la création.
Vivre un atelier d’écriture, c’est partager l’écriture comme expérience. Ce n’est pas apprendre à … mais s’exposer à… L’écriture en atelier est une épreuve à la fois agréable et difficile, instructive et distractive, sérieuse et ludique, grave et légère.
Ecrire est un travail. Travail et retravail de soi, sur soi. Action sur les mots, sur leur agencement, pour fabriquer du texte, lui-même objet de tous les soins: assemblage, polissage, affinage. Production d’un objet (le texte) miroir de celui qui l’a produit, témoin de son rapport au monde, objet livré au temps et aux dépassements.
Ecrire, c’est tisser des liens avec les autres. Poser l’autre, c’est se poser soi-même. Le lien social est au cœur de l’écriture.
Pour évoquer, lors du Colloque « Théorie et pratiques de l’écriture collective », les ateliers que nous inventons et animons, nous avons choisi de faire le récit de l’un d’entre eux, « Ecrire avec et contre Michaux »[1], en hommage à la Belgique. Mais la question est: comment en parler?
On ne peut plus aujourd’hui, vu l’inflation d’écrits sur les ateliers d’écriture, se satisfaire de déclarations sur les liens entre imaginaire et travail, entre valeurs (ou partis pris) et pratiques dans les ateliers d’écriture. Les aspects concrets de l’atelier doivent être remis au centre, mais sans tomber dans l’inventaire des manières de faire. Ce qui fait l’objet de notre recherche actuelle, c’est comment problématiser le rapport entre le concret et l’abstrait dans l’atelier; comment sortir de l’anecdotique ou des grands principes et mettre à l’épreuve les concepts qui pourraient dialoguer avec l’expérience et rendre celle-ci partageable au-delà du simple « j’aime, je n’aime pas », ou « cet atelier, je m’en souviens encore dix ans après … ».
Comme tout travail, l’écriture en atelier témoigne de l’inventivité humaine: elle est tout à la fois reprise de formes existantes pour leur donner des contours nouveaux, ponction dans l’expérience, traduction/transposition en actes des consignes, scrutation du texte en train de naître, lecture des écarts entre un projet et sa mise en œuvre, débat avec autrui, positionnements divers. Pour
toutes ces raisons, l’écriture est un facteur important de développement de la pensée, et donc un vecteur d’émancipation. Voilà pourquoi « faire de l’écriture un bien partagé »[2] est notre parti pris et notre volonté, renforcés par cette affirmation: « Tous capables » … d’écrire, de réfléchir, d’inventer! »
Mais comment mieux comprendre par quelle alchimie se construit cette pensée, comment mettre en perspective et rassembler mille touches et impressions éparses, si ce n’est en interrogeant plus avant le travail lui-même en tant que concept? En effet, le travail ne se réduit pas à une série de gestes, il comporte du visible et de l’invisible, de l’idéel et du matériel[3]. Parler du travail c’est entrer dans une histoire, c’est parler de l’action de l’homme sur une matière (dans l’atelier d’écriture, la matière c’est la langue), c’est évoquer le rapport de l’homme à la production (le texte comme prolongement, comme trace, comme image de soi, etc.), c’est évoquer les rapports des hommes entre eux, au carrefour de coopérations, connivences, échanges, conflits. Si le travail est vie, c’est qu’il est mise en tension de deux pôles: celui des régularités, récurrences, invariants qui sont à nommer; celui de l’aléatoire, de l’imprévisibilité, de la variabilité qui est à mettre en patrimoine..
Confrontés à la difficulté d’évoquer en un temps bref des années d’animation d’ateliers d’écriture et d’expliciter notre conception de l’écriture comme travail, nous avons construit notre exposé autour de deux points:
dire que nos ateliers sont des « dispositifs »…
ce qui permet d’envisager le travail cristallisé qu’ils recèlent: travail des inventeurs/animateurs avant, pendant et après l’atelier; travail des participants;
distinguer « travail d’écriture » et « situation d’écriture »
ce qui permet de mieux comprendre la complexité des liens que nouent et renouent ceux qui écrivent et de situer les textes en fabrication et l’atelier lui-même dans un contexte, c’est-à-dire un ensemble de rapports sociaux, économiques, politiques, etc qui les débordent largement. Ne pas considérer le texte, et/ou le contexte en soi, mais tenter de saisir les interactions entre eux.
Ouvrant ces deux chantiers de réflexion, nous savons pourtant que jamais l’atelier ne se réduira à ce que nous en dirons, de même que jamais l’écriture ne se réduit à la mise en œuvre de consignes …
oOo
- Eloge du dispositif
« Dispositif »:
- a) Manière dont sont disposées les pièces, les organes d’un appareil; le mécanisme lui-même
- b) (Militaire!) Ensemble de moyens disposés conformément à un plan
Dictionnaire « Le Robert »
Paradoxe! Avec l’idée de « dispositif » on met l’accent sur le fait que les consignes sont pensées à l’avance, programmées de manière minutieuse, sans que cela empêche la créativité chez les participants, ni l’improvisation.
En parlant de « dispositif » on admet que dans l’atelier d’écriture se combinent différents types d’opérations (qui ne concernent pas que l’écriture) selon un algorithme précis – la succession des phases – conformément à un plan. Mais il faudra se demander au service de quoi.
Concevoir l’atelier comme un dispositif signifie qu’on a la volonté de gérer le temps (nous aimons les temps plutôt courts, trop courts, qui bousculent et obligent à lâcher prise); cela signifie aussi que la parole de tous doit être sollicitée et donc mesurée (il s’agira à la fois de faire lire tous les textes, d’organiser les moments d’analyse, etc.); cela signifie enfin que l’organisation du groupe et sa dynamique sont un souci majeur pour les animateurs, que l’espace, le lieu où nous travaillons doivent être installés (affichage, travail dedans ou dehors, tables de littérature, bibliothèque éphémère, etc.).
Ainsi voulu, l’atelier est une structure encore vide mais pleine d’espérance, une structure à investir, en attente de textes, une architecture prête à accueillir des rebondissements, des inventions, des audaces, des ivresses.
Une dialogie se prépare, s’anticipe entre animateurs et participants. Derrière le canevas de l’atelier d’écriture, il y a tout l’immatériel de la mise en travail de l’imaginaire et du texte, mais aussi la subjectivité de ses inventeurs; les questions d’écriture qu’ils se posent ou dans lesquelles ils se débattent; leurs lectures, leurs auteurs fétiches; leurs goûts, leurs intuitions; la langue qui est la leur et qui influera sur la formulation des consignes.
L’atelier ainsi formulé est déjà une création adressée.
Bifurcation 1
Parce qu’il s’agit de rendre compte d’un moment de réflexion dans le cadre d’un colloque, signalons que notre exposé s’ouvrait par la consigne de travail que voici …
Les personnes présentes sont invitées à nommer, à partir de leur expérience d’écriture, une ou plusieurs chronologies possibles de fabrication d’un texte (les phases, les moments par lesquels on passe). On repère des temps chauds, des temps froids. (Bref échange oral).
Extraits de ce qui a été dit ou entendu:
[…] La feuille blanche se remplit … je change de page. […] Désir, travail, plaisir […] Sensations, pulsions, traversée du temps et le fil se déroule […] Raisons/Contexte, sujet, série de mots et bouts de phrases, réflexion, relecture, réécriture […] Ecriture spontanée, mots justes, intouchables / un essentiel est à dire par fragments, donc recollage / on est trop dedans, trop noyé, perdu […]
Les adieux de (ou à) …
Distractions de malade …
L’étranger parle …
Mise en commun, la grille d’écoute des textes lus étant la consigne de la phase 3.
Les Vibourels sont d’un naturel méfiant, et ont pour habitude de chercher midi à quatorze heures. Ils sélectionnent à la naissance les bébés les plus gras et suppriment les moins de 4 kg400. Le sentiment le plus partagé par la population est le remords.
(Production de stage)
Phase 3
Tranches de savoirs
Chacun extrait des textes entendus (et affichés) des « tranches de savoirs »: savoirs sur soi, savoirs sur le monde, qui scandent provisoirement les temps du voyage, de l’exploration, en préservant l’énigme.
C’est donc un travail personnel de recopiage: on dispose sur une page, des fragments, des phrases issus des textes des autres que chacun complète par l’écriture de textes interstitiels.
Adieux de l’historien à Setchouline
O mirage de ville, ville bonne au voyageur que je fus et que tu accueillis en ton sein; je te quitte ce soir pour aller dans le sud Pacifique étudier les moeurs des habitants de Kaibaco. Mais avant de partir, je tiens à rendre hommage au peuple Setchoulinien. De lignée en lignée, heureux funambules ils se jouent de la pesanteur. Dès qu’un moment de bonheur les touche, ils s’envolent dans l’éther et retombent peu après élastiquement sur leurs pieds. Le Roi, Trampolino 1er, encourage chez ses sujets le sens de la fête. Tous les ans, pour l’anniversaire de Setchoulin, l’ancêtre vénéré, le fondateur de l’ordre de la Sainte Mousse, des milliers de giramartres sont lâchés dans les airs. Ce sont des oiseaux à ailes zébrées et à cols de girafe. Il s’agit de les attraper au lasso pour se nourrir de leur pensée flexible située dans l’oesophage.(…)
Production de stage
Phase 4
Lettre à Henri Michaux
Chacun écrit une « Lettre à Henri Michaux » en réponse à la postface du volume « Plume, précédé de Lointain intérieur » (p.220, NRF Poésie/Gallimard) ci-dessous.
Mise en commun.
« … Tout progrès, toute nouvelle observation, toute pensée, toute création,
semble créer (avec une lumière) une zone d’ombre.
Toute science crée une nouvelle ignorance.
Tout conscient, un nouvel inconscient.
Tout apport nouveau crée un nouveau néant.
Lecteur, tu tiens donc ici, comme il arrive souvent, un livre que n’a pas fait l’auteur, quoiqu’un monde y ait participé. Et qu’importe?
Signes, symboles, élans, chutes, départs, rapports, discordances, tout y est pour rebondir, pour chercher, pour plus loin, pour autre chose.
Entre eux, sans s’y fixer, l’auteur poussa sa vie.
Tu pourrais essayer, peut-être, toi aussi? »
Henri Michaux.